Baumgarten hier
« En 1892, trois congrégations issues de la Valsainte, en s’unissant, formèrent un Ordre autonome, l’Ordre des Cisterciens Réformés de Notre-Dame de la Trappe, appelé aujourd’hui Ordre Cistercien de la Stricte Observance »
(Constitutions des moniales, Avant-propos 2.)
L’abbaye fondée en 1125 par l’évêque de Strasbourg, Cunon de Michelbach, est construite dans un endroit retiré mais peu salubre. Des cisterciens venus de l’abbaye de Beaupré dans les Vosges, s’y installent en 1148. D’importantes donations sont faites à l’abbaye aux XIIème et XIIIème siècles. Mais au XIVème siècle les moines sont confrontés à des problèmes financiers, qui les obligent en 1426 à vendre leurs précieux manuscrits.
La difficile situation temporelle a fatalement son contre-coup sur le spirituel. Pour relever l’un et l’autre, le Chapitre Général de l’Ordre cistercien de 1426 demande pour Baumgarten quelques moines à l’abbaye cistercienne de Neubourg (Alsace).
Vers le milieu du XVème siècle les Armagnacs ravagent le pays et Baumgarten n’échappe ni au pillage, ni à l’incendie.
En fin de XVème siècle, Baumgarten connaît l’abbatiat marquant de Dom Nicolas Widenbosch (Salicetus en latin). Celui-ci s’occupe de l’édition de livres liturgiques cisterciens, à la demande du Chapitre Général de 1487, afin d’uniformiser la liturgie dans tous les monastères cisterciens.
Le XVIème siècle connaîtra la dévastation définitive de Baumgarten. Définitive ?… Rien n’est moins sûr…
Mais revenons à Notre-Dame d’Altbronn, notre lieu de vie jusqu’en 2009….
Altbronn ou Altburne, “das Dorf am alten Brunnen” -le village près de la vieille fontaine-, était un hameau florissant au début du Moyen-Age. On le trouve mentionné pour la première fois en 737. Ce village disparut durant la première moitié du XIVe siècle, par suite des guerres civiles et de la peste. Il ne restait que l’église, que l’évêque de Strasbourg, Guillaume de Diest (1394-1439), érigea en pélerinage en l’honneur de la Vierge Marie, la Reine toute pure, en 1397. Ce pélerinage est encore très fréquenté de nos jours. Lorsque les soeurs vinrent s’installer en 1895 au village d’Ergersheim, à quelques kilomètres de ce lieu de pélerinage, elles lui empruntèrent son nom pour le donner à leur monastère. En décembre 2009, après 114 années de présence, elles se voient contraintes de quitter cette Abbaye d’Altbronn (commune d’Ergersheim), devenue trop vaste.
L’École Cistercienne
Isaac de l'Étoile (1105 - 1178)
Né en Angleterre et sans doute d’origine noble, il vient étudier en France, sans doute dans les écoles de Laon, Chartres et Paris. Il choisit de devenir moine vers 1143, sans doute à Pontigny, d’où il est envoyé en 1147 comme abbé à l’Étoile, près de Poitiers, qui a été incorporée deux ans plus tôt à l’Ordre de Cîteaux, dans la filiation de Pontigny. Plus tard, avec quelques compagnons dont Jean de Trizay, il fonde sur l’île de Ré le monastère des Châteliers ; on prétendra longtemps qu’il y termine son existence, alors qu’à partir de 1985, grâce à la découverte de documents inédits, on est plutôt porté à penser qu’il meurt vers 1178 dans son abbaye de l’Étoile.
Abbaye de l’Étoile — Image internetIl laisse 55 sermons, des fragments de 3 autres sermons, ainsi que deux lettres (De anima à Alcher de Clairvaux, Deo icio missae à l’évêque Jean de Poitiers) imprégnés de saint Augustin et du Pseudo-Denys. Des commentaires sur le Cantique des cantiques et le livre de Ruth lui sont parfois attribués, certainement à tort.
Gilbert de Hoyland (+ 1172)
Gilbert est né en Angleterre au début du 12è siècle. On ignore la date exacte de sa naissance. Il est abbé à Swineshaed, une abbaye bénédictine de l’Ordre de Savigny, qui se rattachera à l’Ordre cistercien en 1147. Il semble qu’il se soit rendu à Swineshaed dans le but d’aider la communauté à cheminer vers l’adoption des us cisterciennes.
Peu après la mort de Bernard de Clairvaux en 1153, Gilbert est sollicité pour poursuivre l’oeuvre de Bernard. Il lui incombe de compléter la série de sermons sur le Cantique des Cantiques. Aux 86 sermons de Bernard Gilbert en ajoute 47, en restant bien dans la ligne de son prédécesseur. Aujourd’hui il en subsiste une quinzaine.
A son tour, Gilbert meurt en laissant l’oeuvre inachevée. C’est l’abbé, Jean de Ford qui la terminera par la rédaction de cent-vingt autres sermons, complétant ainsi la série de commentaires de l’ensemble du Cantique.
Baudouin de Ford (1125 - 1192)
De nationalité anglaise, Baudouin naît à Exeter en 1125 et fait des études de théologie en France, et de droit en Italie, à Bologne, sous la direction du futur pape Urbain III. En 1155, il revient à Exeter où il devient clerc auprès de l’évêque d’Exeter. Il entre à l’abbaye de Ford en 1169. Six ans plus tard, il en devient l’abbé. En 1180, il est évêque de Worcester, puis archevêque de Cantorbery en 1184. Il accompagne le roi d’Angleterre, Richard Coeur de Lion dans sa Croisade au cours de laquelle il trouvera la mort à Tyr, en 1192.
Baudouin est un homme doué d’une grande générosité et très cultivé. Il a laissé une oeuvre importante, dont plusieurs traités, notamment : « Le sacrement de l’autel ». Son ouvrage le plus connu est le « Traité de la vie commune ».
Adam de Perseigne
Adam de Perseigne né en 1145 était un cistercien français. Il fit un voyage à Rome avant 1195, prêcha en France la 4e croisade et fut admiré pour ses vertus. Chanoine régulier puis bénédictin à Marmoutier, il devint cistercien en entrant à l’abbaye de Pontigny. Elu abbé de Perseigne près d’Alençon, dans le diocèse du Mans, en 1188, il meurt en 1221. Adam possèdait une grande culture littéraire et théologique. Il a laissé des sermons et une trentaine de lettres à visée spirituelle.
Hélinand de Froidmont
Hélinand de Froidmont, poète et trouvère, est né dans une famille noble, à Pronleroy ou Angivillers, près de Saint-Just-en-Chaussée, actuel département de l’Oise, vers 1160. Il suit ses études à Beauvais sous la direction d’un élève d’Abélard, le grammairien Raoul. De par ses origines aristocratiques, il côtoie de grands seigneurs et quelques prélats. Il est l’ami de l’évêque de Beauvais, Philippe de Dreux, cousin du roi Philippe Auguste.
Devenu trouvère, il se produit sur les places publiques et jusqu’à la cour du roi. Poète reconnu, il décide pourtant, un jour de devenir moine et entre au monastère cistercien de Froidmont, diocèse de Beauvais. Il continue d’être poète mais sous une autre forme. Il reste muet quelques années puis compose les célèbres Vers de la Mort, de 1194 à 1197. ll est alors un modèle de piété et de mortification au monastère. Il consacre chaque instant (hors le temps dévolu aux tâches monastiques) aux études ecclésiastiques et, après son ordination, à la prière et à l’écriture. Il décède le 3 février 1223, 1227 ou 1237. À Beauvais, il fut parfois honoré comme un saint et on célèbrait sa fête le 3 février, mais son culte n’a jamais été approuvé par l’Église universelle (les ‘Acta sanctorum’ ne lui ont pas consacré de notice) [Source : wikipedia]
Guillaume de Saint-Thierry (1085 - 1148)
Né à Liège vers 1085, Guillaume s’expatrie pour faire ses études dans le nord-est de la France, à Reims ou à Laon. Il prend à l’age de vingt-huit ans l’habit monastique dans l’abbaye bénédictine de Saint Nicaise de Reims, alors en pleine ferveur. Six ans plus tard il est abbé du monastère bénédictin de Saint-Thierry, près de Reims, dont il fera la célébrité. Peu avant son élévation à l’abbatiat il avait fait la connaissance de Bernard avec qui il s’était lié d’amitié, partageant ses aspirations pour une vie dépouillée et plus conforme à la pensée de saint Benoît.
Il désire entrer à Clairvaux, mais Bernard s’oppose à la vocation cistercienne de Guillaume. En 1135, à l’âge de cinquante ans, passant outre l’avis de Bernard, Guillaume se retire comme simple moine à l’abbaye de Signy, dans les Ardennes, fondation de Citeaux. Ce séjour à Signy est fécond : Guillaume écrit beaucoup : un « Commentaire du Cantique des Cantiques« , l’ « Enigme de la foi », et surtout la « Lettre d’Or », apologie de la vie des frères chartreux du Mont-Dieu, et discret traité de vie ascétique et mystique. L’ouvrage, un « best-seller » sera connu dans tous les milieux, religieux, cléricaux et universitaires.
Excellent théologien et philosophe, Guillaume est aussi un grand mystique. Moine avant tout, il contribue plus qu’un autre à la théologie de l’expérience de Dieu, fondée sur la foi, dont l’objet ne peut être atteint que par l’amour. C’est l’Esprit-Saint, union du Père et du Fils, qui communique à l’âme cet amour réciproque du Père et du Fils. Cette mystique trinitaire est l’apport le plus original et le plus riche de la pensée de Guillaume.
Aelred de Rievaulx (1109 - 1167)
Quelques éléments de biographie : d’après le site de ARCCIS (voir rubrique LIENS ci-contre)
1124 Puis, adolescent, il est admis vers 14 ans, à la cour du roi d’Écosse, David, où il devient le compagnon préféré de Henri et de Waldef, le fils et le beau-fils du roi. On constate déjà là, une des caractéristiques d’Aelred : son aptitude à se faire des amis : Waldef devient vite son ami.
1129 Sa conduite est assez légère. Pourtant l’entrée de Waldef chez les chanoines réguliers le marque. Ses mérites à la cour lui valent bientôt la fonction de sénéchal ou économe de la cour. Il a la responsabilité de la table du Roi.
1134 Envoyé en mission auprès de l’archevêque d’York, il entend parler de l’abbaye de Rievaulx, fondée deux ans plus tôt, en 1132, sur les bords de la Rii, d’où son nom, par un essaim parti de Clairvaux, avec à sa tête Guillaume, le secrétaire-même de saint Bernard. Aelred quitte tout et entre comme novice à Rievaulx. Il a 25 ans. L’Ordre est alors en pleine expansion, et la doctrine de l’école de la charité, élaborée par Bernard, est assez répandue dans la filiation de Clairvaux. Aelred reçoit sa formation directement sous la forme monastique et cistercienne, par l’un des meilleurs disciples de saint Bernard, Guillaume, son secrétaire. Il eût aussi pour père-maître un autre claravallien : Simon de Clairvaux. Durant son année de noviciat, il excelle dans les trois choses qui font un moine : la méditation, la prière pure et un travail utile, nous dit son biographe, qui souligne sa dévotion à l’humanité du Christ, et particulièrement du Christ en croix, telle que Bernard l’a enseignée et pratiquée. Aelred lui-même, nous dit que ses lectures au noviciat étaient de préférence les « Confessions » de saint Augustin et l’évangile selon saint Jean. On lisait aussi le Traité « Des Degrés de l’humilité », et le « De l’amour de Dieu » de Bernard, et bien sûr, la Règle de saint Benoît.
1141 Encore jeune moine, Aelred est envoyé en mission à Rome. Il passe par Clairvaux où il rencontre saint Bernard qui, Père Immédiat de Rievaulx, devait probablement avoir entendu parler d’Aelred. A son retour de Rome, celui-ci est nommé maître des novices. Il possède un charme personnel qui lui attire naturellement des disciples. Il commence son enseignement spirituel par une première ébauche de son « Miroir de la charité ».
1143 Aelred est choisi comme premier abbé de la fondation de Reversby ; il demeure 5 ans à la tête de cette maison où il continue son enseignement sur les étapes de la formation d’un cistercien à l’école de la charité.
1147 On l’élit abbé de Rievaulx et il dirige ce monastère durant vingt ans. Les 10 dernières années, il est accablé de maladies, en particulier d’arthrite. Privé de l’assistance aux offices, il se fait construire une petite cabane où il s’entretient avec ses frères.
1167 Aelred meurt le 12 janvier, en écoutant le récit de la Passion que lui lit un frère. Il a 58 ans.
Ses contemporains l’ont connu comme un homme d’une sérénité inaltérable, d’une grande bonté humaine. Il eut l’art d’être père, avec humilité et amour, c’est-à-dire sans paternalisme ni autoritarisme. Il eut aussi l’art d’écrire et d’écouter, l’art de la parole et du silence, ce qui est le propre du maître spirituel. Il fut surtout un homme qui sut aimer ; nous avons déjà noté plus haut à propos d’Aelred adolescent, comme une des caractéristiques du personnage, son aptitude à se faire des amis : c’est qu’il aime et sait traduire son affection. Aelred a des amis partout ; aussi à sa mort sera-t-il regretté partout. On le lira pour retrouver sa présence.
Saint Bernard : Une dimension Européenne
Troisième enfant d’une fratrie de sept, fils de Tescelin Sorrel et Aleth de Montbard, Bernard naît dans une famille de la moyenne noblesse au château de Fontaine-les-Dijon (Côtes d’Or) en 1090 et décède en 1153. A l’école canoniale de Châtillon sur Seine où il est envoyé à l’âge de neuf ans, il montre un goût particulier pour la littérature.
Citeaux, le « Nouveau Monastère » est fondé en 1098 par Robert, moine bénédictin venu de Molesme avec quelques frères de sa communauté. Etienne Harding, l’un d’eux, vient d’en être élu abbé lorsqu’ en 1112, âgé de vingt-deux ans, accompagné d’une trentaine d’amis et membres de sa famille, Bernard rejoint la jeune fondation. Une aubaine, car cette entrée en masse donnera à l’Ordre Cistercien naissant son véritable essor. C’est que Bernard est un infatigable entraîneur de foule, un leader…
« Saint Bernard a une dimension européenne et c’est un des aspects de son personnage qui attire le plus en lui. Son action a très vite une dimension internationale : il correspond avec des hommes et des femmes, obscurs ou puissants, répartis dans toute la chrétienté, latine et orientale. Les monastères cisterciens sont fondés dans toutes les régions, depuis l’Ecosse jusqu’en Grèce, depuis le Portugal jusqu’à la Baltique. Ses interventions sont innombrables.
Bien qu’il ne dispose d’aucun pouvoir politique institué, il est appelé comme arbitre dans des situations difficiles et souvent parvient à obtenir la paix entre des villes, des rois, entre l’Eglise et les gouvernants. L’Europe qu’il connaît est antérieure à la formation des nations et des états que nous connaissons aujourd’hui. Elle est pourtant très unie, notamment par un fait qui permet à la parole de Bernard d’avoir une efficacité si prodigieuse à travers des pays si divers : les hommes de ce temps, à la différence du nôtre où chacun « a sa vérité », croient qu’il y a une vérité et donc des témoins pour la révéler. Il nous a laissé un héritage spirituel et une présence personnelle qui sont précieux dans un monde qui change. Il peut nous enseigner à remettre Dieu et l’homme en relation pour dépasser la crise actuelle due « à un anthropocentrisme prétentieux » pour reprendre l’expression de Vaclav Havel. » (Article extrait de Saint Bernard – La tradition vivante)
Saint Benoît par le Pape Benoît XVI
Article extrait de la Documentation Catholique n° 2402 du 18 mai 2008
Chers Frères et Sœurs,
Je voudrais parler aujourd’hui de saint Benoît, fondateur du monachisme en Occident et également saint patron de mon pontificat. Je commencerai par une parole de saint Grégoire le Grand, qui écrivit de saint Benoît : « L’homme de Dieu qui brilla sur cette terre par tant de miracles ne resplendit pas moins par l’éloquence avec laquelle il sut exposer sa doctrine ». Lorsque le grand Pape écrivait ces mots en l’année 592, le saint moine n’était mort que depuis 50 ans à peine et était encore vivant dans la mémoire des gens, mais plus encore par l’ordre religieux florissant qu’il avait fondé. Saint Benoît de Nursie, par sa vie et par son œuvre, a exercé une influence fondamentale sur le développement de la civilisation et de la culture européenne. La source la plus importante concernant sa vie est le deuxième livre des Dialogues de saint Grégoire le Grand. Ce n’est pas une biographie au sens classique du terme : selon les habitudes du temps, il voulait illustrer concrètement, par l’exemple d’un homme, dans ce cas celui de saint Benoît, l’ascension des hauteurs de contemplation que peut réaliser celui qui s’abandonne à Dieu. Et il nous donne là un exemple de vie humaine considérée comme une montée vers les sommets de la perfection. Saint Grégoire le Grand, dans ce livre des Dialogues, rapporte aussi de nombreux miracles accomplis par le Saint mais, dans ce cas non plus, il ne veut pas simplement raconter quelque chose d’extraordinaire, mais bien plutôt démontrer comment Dieu conseille, aide, punit aussi, intervenant de multiples façons dans les situations concrètes de la vie de l’homme. Il s’agit de montrer que Dieu n’est pas une hypothèse lointaine, émise pour expliquer l’origine du monde, mais qu’il est présent dans la vie de l’homme, de tout homme.
UN « ASTRE LUMINEUX »
Cette perspective adoptée par le « biographe » s’explique également à la lumière du contexte général de son temps : au détour des Ve et VIesiècles, le monde était engagé dans les bouleversements d’une terrible crise des valeurs et des institutions causée par l’effondrement de l’Empire romain, l’invasion de nouveaux peuples et la décadence des mœurs. En présentant saint Benoît comme un « astre lumineux », Grégoire voulait indiquer, dans cette situation terrible, ici, dans cette même ville de Rome, l’issue de secours de cette « nuit obscure de l’histoire ». Dans les faits, l’œuvre du Saint et, tout particulièrement sa Règle se révélèrent être porteuses d’un authentique ferment spirituel qui, au cours des siècles et bien au-delà des limites de sa Patrie et de son temps, allait changer le visage de l’Europe, y suscitant, après la fin de l’unité politique qu’avait créée l’Empire romain, une nouvelle unité, spirituelle et culturelle : celle de la foi chrétienne que se partageaient les peuples du continent. Ainsi naquit la réalité que nous appelons « Europe ».
La naissance de saint Benoît se situe aux environs de l’année 480. Il provenait, aux dires de saint Grégoire, « de la région de Nursie ». Pour sa formation, ses riches parents l’envoyèrent aux études à Rome. Mais son séjour dans la Ville éternelle ne se prolongea pas ; Grégoire en donne une explication parfaitement crédible, par le fait que le jeune Benoît était dégoûté du style de vie de nombre de ses compagnons d’étude vivant de façon dissolue, et qu’il ne voulait pas tomber dans les mêmes errements. Il voulait plaire à Dieu seul (soli Deo placere desiderans. Et donc, dès avant la fin de ses études, Benoît quitta Rome et se retira dans la solitude de la montagne à l’est de Rome. Après un premier séjour dans le village d’Effide (Affile, de nos jours) où, pendant un certain temps, il s’associa à une « communauté religieuse monastique », il se fit ermite non loin de là, à Subiaco. Il y vécut trois ans dans la solitude absolue, dans une grotte qui, depuis le Haut Moyen Âge, constitue le « cœur » d’un monastère bénédictin appelé « Sacro Speco » [sainte caverne]. La période de Subiaco, période de solitude en compagnie de Dieu, fut pour Benoît un temps de maturation. Il dut affronter, et vaincre, les trois tentations fondamentales de tout être humain : la tentation de l’auto-affirmation et du désir de se mettre au centre, la tentation de la sensualité, et enfin la tentation de la colère et de la vengeance. Benoît était en effet convaincu que ce ne serait qu’après avoir vaincu ces tentations qu’il pourrait dire aux autres une parole répondant aux besoins de leur situation. Et ainsi, l’âme revenue à la paix, il était en mesure de maîtriser les pulsions de l’ego, devenant de la sorte bâtisseur de paix autour de lui. Ce n’est qu’alors qu’il décida de fonder ses premiers monastères dans la vallée de l’Anio, près de Subiaco.
UNE RÈGLE ET UNE FAMILLE
En 529, Benoît laissa Subiaco pour s’établir au Mont-Cassin. Certains ont expliqué ce transfert comme une fuite devant les intrigues jalouses d’un clerc local. Mais cet essai d’explication s’est avéré peu convaincant, la mort inattendue de la personne en question n’ayant pas induit Benoît à revenir. En réalité, la décision s’était imposée à lui quand il était entré dans une phase nouvelle de sa maturation intérieure et de son expérience monastique. Selon Grégoire le Grand, l’exode de la vallée retirée de l’Anio pour rejoindre le Mont-Cassin – un plateau qui surplombe en son milieu une vaste plaine, et visible de loin – revêt un caractère symbolique : si la vie monastique dans la réclusion a sa raison d’être, un monastère poursuit également une finalité publique dans la vie de l’Église et de la société, celle de donner visibilité à la foi comme force de vie. De fait, quand, le 21 mars 547, Benoît arriva au terme de sa vie terrestre, il laissait, avec sa Règle et la famille bénédictine qu’il avait fondée, un patrimoine qui allait traverser les siècles et porter fruit jusqu’à nous dans le monde entier.
Tout le deuxième livre des Dialogues de Grégoire illustre comment la vie de saint Benoît a baigné dans une atmosphère de prière, pierre angulaire de son existence. Sans prière, il n’y a pas d’expérience de Dieu. Mais la spiritualité de Benoît n’était pas une intériorité coupée de la réalité. Dans l’inquiétude et dans la confusion de l’époque, parce qu’il vivait sous le regard de Dieu il ne perdit jamais de vue les devoirs de la vie quotidienne ni l’homme avec ses besoins concrets. Voir Dieu lui fit comprendre la réalité de l’homme et sa mission. Dans sa Règle, il qualifie la vie monastique de « école pour apprendre à servir le Seigneur », et il demande à ses moines que, « à l’œuvre de Dieu », c’est-à-dire à l’Office divin ou à la Liturgie des heures, « on ne préfère rien ». Il souligne cependant que la prière est avant tout un acte d’écoute, qui doit ensuite se traduire dans l’action concrète. « Le Seigneur attend de nous ceci : que jour après jour nous répondions par nos actes à ses bons conseils », affirme-t-il. De cette façon la vie du moine réalise une symbiose féconde entre l’action et la contemplation « pour qu’en tout on rende gloire à Dieu ». Contrastant avec une auto-réalisation facile et égocentrique, de nos jours souvent exaltée, l’engagement premier et indispensable du disciple de saint Benoît est la recherche sincère de Dieu sur la voie tracée par le Christ humble et obéissant, à l’amour de qui « rien ne doit être préféré », si bien que dans le service du prochain ce disciple devient homme de service et de paix. Dans l’exercice de l’obéissance mise en acte avec une foi animée par l’amour, le moine acquiert l’humilité à laquelle la Règle consacre tout un chapitre. De la sorte, l’homme devient toujours plus conforme au Christ et atteint sa véritable auto-réalisation de créature à l’image et ressemblance de Dieu.
PATRON DE L’EUROPE
À l’obéissance du disciple doit correspondre la sagesse de l’Abbé, qui dans le monastère tient « la place du Christ ». Son portrait au profil d’une spirituelle beauté et d’un engagement exigeant, tel que tracé surtout le deuxième chapitre de la Règle, peut être considéré comme un auto-portrait de Benoît, puisque, comme l’écrit Grégoire le Grand, « le saint ne pouvait nullement enseigner différemment de ce qu’il vivait ». L’Abbé doit être à la fois père affectueux et maître sévère, véritable éducateur. Inflexible contre les vices, il est pourtant appelé par-dessus tout à imiter la tendresse du Bon Pasteur, à « être serviteur plutôt que maître », à « accentuer davantage par les actes que par les mots tout ce qui est bon et saint », et à « présenter les commandements du Seigneur par son exemple ». Pour être en mesure de décider de manière responsable, l’Abbé doit aussi être quelqu’un qui écoute « les avis des frères », parce que « souvent le Seigneur découvre à un frère plus jeune ce qui est le mieux ». Cette disposition confère un caractère étonnamment moderne à une règle mise par écrit il y a presque quinze siècles ! Un homme aux responsabilités publiques, y compris en un cercle restreint, doit toujours aussi être un homme qui sait écouter, et sait apprendre de ce qu’il entend.
Benoît qualifie sa Règle de « petite règle écrite pour des débutants » ; en réalité pourtant elle présente des indications utiles non seulement aux moines, mais aussi à tous ceux qui cherchent un guide pour leur route vers Dieu. Par sa mesure, son humanité, son sobre discernement entre ce qui dans la vie spirituelle est essentiel et ce qui est secondaire, elle a pu conserver son lumineux pouvoir jusqu’à aujourd’hui. Lorsque Paul VI, le 24 octobre 1964, proclama saint Benoît Patron de l’Europe, il entendait reconnaître l’œuvre merveilleuse accomplie par le saint au moyen de sa Règle, pour la formation de la civilisation et de la culture européenne. Aujourd’hui, à peine sortie d’un siècle profondément blessé par deux guerres mondiales et après l’effondrement des grandes idéologies qui se sont révélées être de tragiques utopies, l’Europe est à la recherche de son identité. Pour créer une unité nouvelle et durable, les instruments politiques, économiques et juridiques sont importants, certes, mais il faut également susciter un renouveau éthique et spirituel qui atteigne aux racines chrétiennes du Continent, sans quoi l’Europe ne pourra se reconstruire. Sans cette sève vitale, l’homme reste exposé au danger de succomber à l’ancienne tentation de vouloir se racheter tout seul : c’est là une utopie qui, de diverses façons, dans l’Europe du XXe siècle, a causé, comme l’a relevé le Pape Jean-Paul II « une régression sans précédent dans l’histoire tourmentée de l’humanité ». Nous qui cherchons le véritable progrès, accueillons aujourd’hui encore la Règle de saint Benoît comme une lumière sur notre chemin. Le grand moine reste un maître authentique, et à son école, nous pouvons apprendre l’art de vivre l’humanisme véritable.