Chers frères et sœurs dans le Christ,

« Ces propos leur semblèrent délirants, et ils ne les croyaient pas. » Les textes de la liturgie de cette nuit sont remplis de poésie, d’images, de sagesse, d’espérances ; au travers d’eux se manifeste un Dieu proche et agissant, viscéralement lié à l’humanité, un Dieu toujours surprenant. Dans les événements qu’Il fait arriver, il y a cette part d’arbitraire, de libéralité qui a bousculé les générations de croyants avant nous, et qui nous touche encore ce soir. Si Dieu se contentait de trôner au milieu du monde des idées – de nos idées les plus hautes et les plus pures, bien sûr – nous pourrions nous sentir bien tranquilles. Mais Il se révèle tout au long de l’Histoire Sainte comme furieusement interventionniste, Il entre sans gêne dans notre monde matériel, et avec un malicieux plaisir à nous prendre par surprise. « Pierre courut au tombeau ; mais en se penchant, il ne vit que le linceul. Il s’en retourna chez lui, tout étonné de ce qui était arrivé. » A la racine de l’étonnement de Pierre, il y a le linceul, qui était disposé d’une manière très inattendue – le corps était effectivement absent, selon le constat des femmes avant lui, mais il y avait comme une étrangeté dans la manière dont il avait été retiré, sans que Pierre puisse conclure à une cause bien déterminée. L’étonnement de Pierre tenait certainement également à la réaction de son comparse : dans l’évangile de demain, l’apôtre Jean précisera qu’il était avec lui témoin de la vacuité du tombeau ; pour Jean cependant, ce même constat avait fait jaillir la joie de la foi, une joie que Pierre n’a pas pu ignorer et qui aura pu le faire frémir. Jean avait assisté à tous les événements de la Passion de Jésus ; il avait vu la manière dont le corps avait été déposé au tombeau : par comparaison, dans le tombeau vide au matin du dimanche, il constate que les linges n’ont absolument pas été touchés. Le corps de Jésus qu’ils contenaient s’était simplement volatilisé, comme s’il était passé au travers. Ce constat fait, Jean s’est rappelé les paroles de Jésus, et a compris ce qu’Il avait voulu dire par l’expression : « se relever des morts. » Il a cru à Sa résurrection. Jean a cru en voyant les linges ; Pierre croira en voyant Jésus ressuscité, Thomas en ayant la possibilité d’approcher sa main de la plaie du côté.
Cette matérialité des événements, dans la découverte du tombeau vide, dans les manifestations du Ressuscité, a été essentielle dans le chemin de foi des apôtres, elle atteste à jamais d’une vérité incontournable de notre foi chrétienne : Dieu Se donne à toucher dans notre histoire.
Le mois dernier, alors que nous accueillions avec surprise l’annonce de la fin du pontificat de Benoît XVI, j’ai été très touché de remarquer quel signe il laissait
discrètement à l’Eglise, dans son sillage, pour continuer de l’accompagner dans l’Année de la Foi. Sur la demande de notre Pape émérite, au soir de ce Samedi Saint, le Linceul de Turin vient d’être exposé – une ostension télédiffusée. Le pape intellectuel et théologien hors pair s’efface, après les discours de circonstance, en dirigeant les regards vers la relique la plus précieuse de la chrétienté. Tout enseignement, toute théorie, toute autorité s’efface humblement devant la matérialité des événements. Dieu a agi, Dieu agit ; que nous le voulions ou pas, Il est entré radicalement dans notre histoire. La force de notre foi repose sur ce fait brut, incontournable. « Celui qui a vu rend témoignage, afin que vous croyiez vous aussi, » nous disait saint Jean, dans le récit de la Passion. Si les événements-clef de la vie du Christ semblent ne nous toucher qu’indirectement, par les Ecritures et l’enseignement de l’Eglise, Lui-même nous rejoint directement, chaque jour, si nous le Lui permettons. Dans les Sacrements, c’est Lui qui agit, c’est Lui qui Se donne – sans aucun mérite de notre part, parfois même sans que nous l’ayons cherché. Benoît XVI nous le rappelle également silencieusement, lui qui est né un Samedi Saint, et qui avait été baptisé dans l’eau bénie lors de la Vigile Pascale. Sa vie, sa vocation, sa mission : tout avait commencé là, comme un don de Dieu. L’Histoire Sainte, l’Alliance de Dieu avec les hommes se poursuit ; Il est prêt à S’introduire en nous au cours de cette liturgie, pour bousculer notre histoire. Ce n’est d’ailleurs que pour cela qu’Il nous y a conduits, dans Sa douce Providence. Ouvrons donc notre cœur à tout ce qu’Il fait arriver en cette sainte Nuit – communions par la foi à la Résurrection de Jésus, notre trésor, notre espérance indéfectible, la source perpétuellement jaillissante de notre joie – cette joie que le monde ne connaît pas et que nul ne pourra nous ravir. AMEN. 

fr. M.-Théophane +