Collectanea Cisterciensia 72 (2010) 214-232
Gaetano RACITI, ocso

Dans l’un de ses derniers sermons sur le Cantique des Cantiques, aux approches de la fin de sa vie, Bernard de Clairvaux écrivait∞∞:
L’amour se suffit à lui-même, il plaît par lui-même et pour lui-même.
Il est à lui-même son mérite, à lui-même sa récompense. L’amour ne
cherche hors de lui-même ni sa raison d’être ni son fruit. Son fruit,
c’est l’amour même. J’aime parce que j’aime, j’aime pour aimer∞∞!
Quelle grande chose que l’amour, si du moins il remonte à Dieu, son
principe, s’il retourne à son origine, s’il reflue vers sa source, pour y
puiser toujours son jaillissement. De tous les mouvements de l’âme,
de ses sentiments, de ses affections, seul l’amour permet à la créature
de répondre à son Créateur, non pas certes d’égal à égal, mais tout de
même dans une réciprocité de ressemblance. […] Car dans son
amour, Dieu ne veut rien d’autre que d’être aimé. Il n’aime que pour
qu’on l’aime. Car il le sait∞∞: ceux qui l’aiment trouvent précisément
dans cet amour la plénitude de la joie. Oui, quelle grande chose que
l’amour
1
∞∞!
Nous avons ici comme le testament doctrinal de Bernard, comme
le condensé vibrant et palpitant de son message spirituel. Ce message
est d’abord l’expression du sens premier et ultime de son existence.
Ce message, il le livre à l’Église, le lègue à l’humanité entière, et, en
cela même, il constitue l’accomplissement de son itinéraire le plus
personnel, de sa grâce monastique propre.
Le ministère ecclésial bernardin
Bernard, dernier des Pères de l’Église dans l’ordre des temps, mais
ne le cédant point aux premiers∞∞! Cette épithète de «∞∞dernier des
1
BERNARD DE CLAIRVAUX, Sermon sur le Cantique des Cantiques [SCt] 83, 4-5, traduction de P.-Y. ÉMERY, Invités aux noces. Extraits des Sermons sur le Cantique des Cantiques,
Desclée, 1979, p. 159-160. Les renvois aux œuvres de saint Bernard seront faits à l’aide des
sigles employés par l’édition des Sources Chrétiennes.
93706_Cistercien_02_Raciti 11-08-2010 15:14 Pagina 214Pères∞∞» ne signifie certes pas qu’il ne ferait que transmettre les doctrines patristiques ou prolonger et continuer avec bonheur leur enseignement, mais bien plutôt que son interprétation de l’Écriture, sa
compréhension de la Parole de Dieu, est égale en autorité à celle des
Pères les plus estimés. Du point de vue chronologique, Bernard est le
dernier qu’on puisse et qu’on doive mettre sur le même pied que les
Pères de l’Église. Au sein de la tradition chrétienne, Bernard est donc
un auteur au sens fort du terme, selon la triple connotation d’authenticité, d’origine et d’argumentation. Ce label de qualité, qui lui a été
conféré dès le XII
e
siècle, rejoint une autre appellation de saint Bernard, ratifiée par la postérité et confirmée par le magistère de l’É-
glise∞∞: le titre de «∞∞Docteur melliflue∞∞» (Doctor mellifluus). Le mot a
été souvent pris, spécialement à partir du XV
e
siècle, comme désignant le docteur «∞∞aux paroles qui ont la suavité du miel∞∞». Une telle
édulcoration n’est pas tout à fait un contresens, mais certainement un
sens piégé. Dans son acception première et véritable, le titre de Docteur melliflue reconnaît en Bernard un maître dans l’art d’extraire ce
miel, qui est le sens spirituel, à partir de la cire de la lettre des textes
scripturaires et patristiques. Pour ses contemporains, saint Bernard
est donc melliflue tout d’abord et essentiellement parce qu’il excelle
à faire couler le miel des Écritures
2
.
Avec une exquise ambiguïté d’expression, Arnaud de Bonneval,
l’un des premiers biographes de l’abbé de Clairvaux, se plaît à narrer
que, lorsque celui-ci, au lieu d’aller dicter à son secrétaire les pensées que Dieu lui inspirait, les notait lui-même sans tarder sur des
tablettes de cire de peur qu’elles ne s’évanouissent de son esprit, il
restituait à la cire le miel que les abeilles y avaient auparavant
déposé, et un miel plus délicieux que le leur
3
. Comme on le voit,
pour Arnaud le miel est ici, à la fois ce qui est contenu dans l’Écriture et ce que dit concrètement Bernard. Car justement, dans le cas
de Bernard, il ne s’agit pas de simple exégèse allégorique, il ne s’agit
pas de l’élaboration de n’importe quel sens spirituel ou figuratif de
l’Écriture∞∞; avec Bernard, il est proprement question du jaillissement
du sens qui concerne l’expérience de Dieu, le goût de Dieu. C’est là
ce qu’il appelle son «∞∞ministère à lui
4
∞∞», son service ecclésial, son
charisme, sa mission. Effectivement, avec lui quelque chose de nouveau apparaît dans le domaine de la théologie. Un discours théologique original s’ouvre, caractérisé – pour le dire en gros et sans
nuances – par le passage d’une théologie objective des mystères de la
Le message spirituel de saint Bernard 215
2
Cf. Henri de LUBAC, Exégèse médiévale, t. 2, Paris 1964, p. 599.
3
ARNAUD DE BONNEVAL, Vita prima, 1. II, ch.VIII, 51∞∞; PL 185, col. 298.
4
Ministerium meum, SCt 22, 2 (SBO I, p. 130, l. 14-15).
93706_Cistercien_02_Raciti 11-08-2010 15:14 Pagina 215foi à une théologie subjective de la vie mystique. En d’autres termes,
avec Bernard et les autres auteurs cisterciens qui prolongent son
sillon, pour la première fois, en Occident du moins, nous assistons à la
fondation, à l’éclosion et à la constitution de plus en plus consciente
d’elle-même d’une spiritualité, c’est-à-dire d’une théologie de la vie
spirituelle et mystique qui deviendra le bien commun de toute l’Église.
Cette nouveauté de la démarche doctrinale bernardine a été déjà clairement perçue par ses contemporains qui l’ont saluée avec admiration,
car, selon la remarque d’Étienne Gilson, pour tirer des
données éparses dans l’Écriture et les œuvres des Pères la théologie
mystique de saint Bernard, il fallait la vie spirituelle et le génie spé-
culatif de saint Bernard lui-même. Qu’on la supprime par l’imagination, que nous reste-t-il à la place∞∞? Le XII
e
siècle ne s’y est pas
trompé∞∞; si nous ne sentons pas quel vide créerait son absence, les
contemporains de saint Bernard se sont nourris de l’abondance de sa
plénitude
5
.
Mais si le message spirituel de saint Bernard crée les conditions de
possibilité d’un développement théologique nouveau, c’est parce
que, à un niveau plus radical et primordial, ce message rend possible
et amorce un réajustement des structures mentales du christianisme
occidental, déclenche une mutation culturelle et spirituelle décisive,
qui va marquer le cours de notre civilisation jusqu’à aujourd’hui où
elle tend à devenir planétaire. En un mot, le message spirituel de
saint Bernard a opéré la transmutation de «∞∞l’eschatologisme∞∞» en
mysticisme∞∞; ou, en termes plus imagés∞∞: la transfiguration de l’Apocalypse en Cantique des Cantiques.
Pour bien saisir l’enjeu de la question et éclairer cet énoncé un peu
énigmatique, il faudrait d’abord analyser le surgissement de l’idéologie eschatologiste dans les premières communautés chrétiennes et en
dessiner la courbe évolutive dans le christianisme latin jusqu’au
Moyen Âge. Contentons-nous ici d’une simple esquisse, rapide et
générale.
L’idéologie eschatologiste
Jusque vers le milieu du XII
e
siècle, la vie de l’Église latine (je me
limite à considérer celle-ci) a été dominée par une vision du monde,
fruit d’une lecture du Nouveau Testament faite à partir et en fonction
de sa pointe eschatologiste la plus tranchante. La perspective du retour
imminent du Christ, dans laquelle baignait la première génération
216 Gaetano Raciti, ocso
5
Étienne GILSON, La Théologie mystique de saint Bernard, Paris 1934, p. 46-47.
93706_Cistercien_02_Raciti 11-08-2010 15:14 Pagina 216chrétienne, s’est peu à peu durcie en une tension eschatologiste, en un
pan-eschatologisme, qui a fini par conditionner toute la vision de
l’existence et de l’histoire. Très tôt, déjà au III
e
siècle avec un saint
Cyprien, a été sécrétée une sorte d’idéologie nourrie de philosophie
païenne. C’est ainsi qu’entre le III
e
et le VI
e
siècle se structure et se met
progressivement en place toute une vision négative de l’avenir
humain. À une époque où l’Empire romain se décompose et qu’agonise une grande civilisation, l’histoire humaine est perçue comme
étant au bout de son rouleau∞∞: il n’y a plus ou presque plus rien à
attendre. Ne voit-on pas d’ailleurs se multiplier ces signes de la fin du
monde que sont les guerres, les épidémies, les famines, les cataclysmes naturels et les hérésies∞∞? Il en résulte (et cela est très net chez
un Grégoire le Grand) une doctrine qui – selon le mot du père Congar
– «∞∞frise le divinisme∞∞: cette vie n’est que mort et exil, n’a de valeur
que la référence au ciel
6
∞∞». D’autre part, et cela est paradoxal seulement en apparence, si, dans l’optique eschatologiste, la notion de
temps comme accomplissement, comme développement, comme histoire, devient à peu près impensable, la notion même de parousie,
c’est-à-dire d’avènement glorieux du Christ à la fin des temps,
s’émousse de plus en plus et tend à s’éclipser au profit de la considé-
ration dramatique de la mort individuelle, en tant qu’échéance décisive pour chacun. Pareil contexte idéologique rend très précaire l’élaboration d’une doctrine de la vie spirituelle et quasi impossible
l’éclosion d’une mystique. Le radicalisme d’un temps essentiellement
sans histoire, et qui, pour ainsi dire, piétine et marque le pas, ne laisse
d’espace que pour une «∞∞éthique du provisoire∞∞», pour une «∞∞morale
intérimaire∞∞».
Du VI
e
au XI
e
siècle, le vaste mouvement monastique qui quadrille
toute l’Europe devient l’agent majeur de transmission de cette mentalité. Représenté par toute une littérature du «∞∞désir du ciel∞∞», l’eschatologisme du monachisme traditionnel pré-cistercien s’incarne dans
une sorte d’humanisme à forte coloration ascétique, dont les deux
pôles sont une hypervalorisation de la virginité et un déploiement de
plus en plus exubérant de la liturgie. Grandiose tentative de symboliser et presque de mimer au sein de l’existence temporelle le dégagement de la condition terrestre et l’anticipation de la vie céleste
7
.
Or, au début du XII
e
siècle, dans le contexte général de transformations économiques, sociales, culturelles et ecclésiales, dans un
Le message spirituel de saint Bernard 217
6
Yves-Marie CONGAR, Revue des sciences philosophiques et théologiques 62 (1978),
p. 72.
7
Cf. G.M. COLOMBAS, Paradis et vie angélique, Paris 1961.
93706_Cistercien_02_Raciti 11-08-2010 15:14 Pagina 217contexte de renouveau, d’essor, de renaissance et de réforme dans les
domaines les plus divers, un je ne sais quoi, qui commençait à scintiller, à clignoter par-ci par-là, parvient avec Bernard et en Bernard
à son émergence définitive et irréversible. Il s’opère en sa personne
et en sa doctrine une sorte de cristallisation, à la fois logique et
inouïe, graduelle et brusque, donnant naissance à une acquisition
stable, à un point de non-retour pour l’ensemble de la civilisation.
Aussi est-il juste de préciser que, si Bernard accomplit un véritable
retournement des structures mentales et spirituelles telles qu’elles
s’étaient constituées en Occident entre le III
e
et le VI
e
siècle, il ne
s’agit pas pour autant d’une sorte d’exploit solitaire et prométhéen,
mais plutôt de la résultante de toute une maturation latente, que
l’abbé de Clairvaux porte à son autoconscience, à son accomplissement plénier et permanent. Après saint Bernard, en effet, l’idéologie
eschatologiste n’est plus fondamentalement qu’un discours clôturé,
fini. Vidée de son contenu spéculatif, elle fera désormais figure de
résurgence purement répétitive dans les périodes de crise ou de décadence.
Le songe d’une nuit de Noël
Le message spirituel de saint Bernard s’enracine profondément
dans son être, dans sa vie, dans son expérience personnelle, déjà en
son jeune âge. Lui-même en était conscient et a renseigné ses intimes
sur un événement inoubliable qui l’avait marqué pour toujours au
seuil de son adolescence∞∞: le fameux songe qu’il eut une nuit de
Noël. Voici comment Geoffroy d’Auxerre, son secrétaire, nous en
rapporte le souvenir dans une note rapide et sans apprêt
8
.
Une veille de la Nativité du Seigneur, écrit Geoffroy, alors qu’il était
encore tout jeune garçon, comme il dormait dans la maison de son
père, il lui semble voir la Vierge enfanter et le Verbe Enfant naître
d’elle. À cet instant sonnèrent les cloches pour les vigiles et sa mère,
l’ayant réveillé […] l’amena avec elle à l’église selon son habitude.
Au sujet de cette vision, il avait coutume de dire qu’il croyait que
c’était l’heure de la naissance du Seigneur et que ce qui lui fut montré alors était le signe des nombreux mystères qui lui ont été révélés
plus tard au sujet de cette même nativité du Seigneur
9
.
Selon toute vraisemblance, le fidèle secrétaire se borne ici à transcrire, en la transposant en langage indirect, une confidence recueillie
218 Gaetano Raciti, ocso
8
Elle fait partie de ce qu’on appelle les Fragmenta, transmis par un manuscrit d’Orval de
la fin du XII
e
siècle, conservé actuellement à l’abbaye de Tamié.
9
Fragment 5, Analecta Bollandiana, t. 5, 1932, p. 91.
93706_Cistercien_02_Raciti 11-08-2010 15:14 Pagina 218sur les lèvres de Bernard. D’après ce témoignage digne de foi, le
songe d’enfance, que Bernard dans son âge mûr évoquait avec émotion, constituait une représentation dense et symbolique (un signum),
renfermant le germe des grandes intuitions spirituelles, toutes reliées
d’une manière ou d’une autre au mystère de Noël, au mystère de
l’Incarnation. Il nous faut également prendre très au sérieux cette
identité que Bernard affirmait entre l’heure de la naissance de Jésus
et le moment de la nuit où le songe s’était produit. La rencontre et la
surimposition des ces deux événements dans un temps symbolique,
dans une contemporanéité d’ordre mystique, montre bien que le
jeune garçon (il pouvait avoir entre dix et treize ans) a vécu alors une
véritable expérience initiatique, quelque chose comme une nouvelle
naissance intérieure∞∞: sa propre mise au monde à la vie spirituelle
dans une orientation mystique d’assimilation au Verbe incarné.
Expérience à la fois transformante et fondatrice, source intérieure
permanente de sa doctrine spirituelle la plus originale. En effet, la
grande découverte révolutionnaire, alors à peine entrevue par le tout
jeune adolescent et élaborée théologiquement plus tard, est la suivante∞∞: Jésus Christ vient maintenant, Jésus Christ s’incarne et naît
aujourd’hui, dans notre «∞∞aujourd’hui∞∞»∞∞; à certains égards, la parousie, l’avènement glorieux du Christ, est une réalité d’ordre spirituel
qui advient au sein du temps, tout au long du temps, tout au long de
l’histoire humaine, de l’histoire de tout humain∞∞; l’expérience de
Dieu n’est pas réservée pour «∞∞demain∞∞», pour après l’existence temporelle, pour l’au-delà de la condition terrestre∞∞: non, le mystère de
l’Incarnation implique que la rencontre du Christ est déjà possible
dans l’aujourd’hui humain, et le quotidien de l’histoire est le lieu
possible et adéquat de l’expérience ineffable de Dieu, à laquelle tous
nous sommes conviés dès ici-bas
10
.
Ce songe d’une nuit de Noël tel que Bernard l’a toujours mieux
compris, peut être considéré à bon droit comme la source intérieure
de sa doctrine des trois avènements du Christ, et, plus spécialement,
de «∞∞l’avènement intermédiaire∞∞». Cet enseignement fondamental,
qui est au cœur de son message spirituel, constitue l’idée-mère de la
théologie mystique.
L’avènement intermédiaire
Les Pères de l’Église d’Orient et d’Occident ont parlé d’un
double avènement du Christ∞∞: le premier, historique dans l’incarLe message spirituel de saint Bernard 219
10
Cf. SCt 83, 1.
93706_Cistercien_02_Raciti 11-08-2010 15:14 Pagina 219nation, et donc objet de souvenir, de mémoire; le dernier, eschatologique à la fin des temps, et donc encore objet d’attente. Pour
saint Bernard il existe un troisième avènement, actuel, intérieur et
spirituel, fondement et justification de toute recherche et expé-
rience de Dieu.
La considération du triple avènement du Christ est le thème principal de ses sept sermons sur l’Avent, qui forment un ensemble où
chaque pièce complète le point de vue exposé par les autres. Tour
à tour, l’un des ces trois avènements se trouve accentué dans tel ou
tel de ces sermons, mais «∞∞c’est la venue intermédiaire et présente
du Seigneur qui intéresse au premier chef
11
∞∞». Il en traite le plus
explicitement dans le cinquième, autour duquel pivotent tous les
autres sermons du groupe. D’apparence modeste, le cinquième
sermon pour l’Avent a la portée d’une charte fondatrice de la spiritualité authentiquement chrétienne. Ce texte est assez archaïque
dans la production littéraire de l’abbé de Clairvaux. Sa substance
et, au moins partiellement, sa forme, semblent remonter à une pré-
dication antérieure à 1126. Le passage essentiel et créateur est le
suivant∞∞:
Il est un troisième avènement, intermédiaire entre les deux autres […].
Ceux-ci sont visibles, celui-là non. Lors du premier, le Christ a paru
sur la terre, il a vécu parmi les hommes (Ba 3, 38)∞∞; c’est le temps où,
selon son propre témoignage, ils l’ont vu et l’ont pris en haine (Jn 15,
24). Lors du dernier avènement, toute chair verra le salut de Dieu (Is
52, 10∞∞; Lc 3, 6∞∞; Ps 97, 3), et ils verront celui qu’ils ont transpercé
(Jn 19, 37). L’avènement intermédiaire, lui, est caché∞∞: en cette
venue, seuls les élus le voient, au-dedans d’eux-mêmes, et leur âme
en est sauvée (Gn 32, 30). Dans le premier donc, il vient dans la chair
et la faiblesse∞∞; dans l’intermédiaire, il vient dans l’Esprit et la puissance∞∞; dans le dernier, il vient dans la gloire et la majesté. […] Cet
avènement intermédiaire est ainsi comme un chemin par lequel on
marche du premier au dernier. Dans le premier, le Christ a été
rédemption (1 Co 1, 30)∞∞; dans le dernier, il apparaîtra comme notre
vie (Col 3, 4)∞∞; dans celui-ci, il est notre repos et notre consolation
(He 4, 11∞∞; 2 Cor 1, 5)
12
.
La diffusion de la doctrine de l’avènement intermédiaire a été
très rapide, dès la première moitié du XII
e
siècle. Elle se répand dans
tous les milieux, avec parfois des variantes et des additions, si bien
qu’au début du XIII
e
siècle elle est considérée comme un patrimoine
220 Gaetano Raciti, ocso
11
P.-Y. ÉMERY, Saint Bernard. Sermons pour l’année, Brepols-Taizé 1990, p. 37.
12
BERNARD DE CLAIRVAUX, Adv 5, 1.
93706_Cistercien_02_Raciti 11-08-2010 15:14 Pagina 220commun de l’Église, un enseignement faisant partie du dépôt de la
foi catholique depuis des temps immémoriaux
13
. Pourtant, cette
conception des trois avènements du Christ et de l’avènement intermédiaire est, comme telle, ignorée des Pères. A posteriori, on peut
seulement dire qu’il en existe des pierres d’attente chez Origène et
saint Augustin. Quoi qu’il en soit, cette doctrine de Bernard pré-
suppose et commande une nouvelle manière de lire le Nouveau Testament (et par là, une relecture de toute l’Écriture), non plus sous
l’angle de vue de l’Apocalypse ou en fonction des autres éléments
eschatologiques vétéro et néotestamentaires, mais à partir d’une
synthèse entre la perspective paulinienne de l’assimilation au
Christ, de la christification des fidèles, et la méditation johannique
du mystère de l’incarnation du Verbe et de son parachèvement par
la mission du Saint-Esprit. D’ailleurs, avec un instinct théologique
très sûr, Bernard interprète le quatrième évangile à la lumière de la
première épître de Jean.
Saint Bernard se rendait compte de l’originalité de son intuition
concernant le troisième avènement et de l’inédit théologique qu’elle
comportait au regard de la tradition patristique∞∞; mais en même
temps, il ne doutait pas de sa légitimité et de sa validité, fondée
qu’elle était sur l’Écriture. À preuve, la remarque significative qu’il
se sent en devoir de faire immédiatement après le passage du sermon
que nous venons de citer∞∞:
Le message spirituel de saint Bernard 221
13
À la fin du XII
e
siècle, la doctrine bernardine des trois avènements était devenue classique, un enseignement reçu et transmis comme un bien commun de l’Église, faisant partie
de son héritage traditionnel. Parmi les cisterciens, Guerric lui consacre le second sermon
pour l’Avent∞∞; Aelred traite du sujet dans les sermons 80, 85 et 86 pour l’Avent, mais il y
fait allusion également dans le sermon 19, 3-6 pour l’Assomption, où il esquisse pour ainsi
dire le dépassement par et dans la vie mystique de l’opposition vie active/vie contemplative. Dans les textes d’Isaac de l’Étoile parvenus jusqu’à nous, il n’est pas explicitement
question de cette doctrine, mais nous n’avons pas ses sermons pour la période liturgique
de l’Avent à l’Épiphanie. En revanche, dans un de ses textes les plus élaborés doctrinalement, le sermon 42 pour l’Ascension, le grand penseur cistercien établit clairement les fondements théologiques de cette doctrine avec sa dimension ecclésiologique et anthropologique (voir aussi le sermon 41, 3.6-8 sur les trois naissances humaines). La grandiose
synthèse élaborée par Isaac a été reproduite à peu près littéralement par Hélinand de Froidmont dans son second sermon pour l’Épiphanie (PL 212, 522 B-C∞∞; voir également le
second sermon pour l’Ascension, PL 212, 597 D). Hélinand est en outre témoin de l’aboutissement liturgique de cette doctrine bernardine et de sa généralisation (cf. le début de son
premier sermon sur les quatre avènements mis en relation avec les quatre semaines de
l’Avent, PL 212, 481 D). À la même époque, Innocent III dans son troisième sermon
pour Noël (PL 217, 459 C-461 B) met en relation la doctrine de Bernard-Isaac avec les
trois messes de Noël. À son tour, Thomas d’Aquin consacre un sermon de Noël à la
triple naissance du Christ. Au XIV
e
siècle, avec Ludolphe le Chartreux et Tauler, il y a un
nouvel approfondissement dans une perspective mystique qui va pénétrer tout le courant
rhéno-flamand.
93706_Cistercien_02_Raciti 11-08-2010 15:14 Pagina 221Mais pour éviter de donner peut-être l’impression à tel ou tel d’avoir
inventé ce que nous disons de cet avènement intermédiaire, écoutez le
Christ dire lui-même∞∞: Si quelqu’un m’aime, il gardera mes paroles,
mon Père l’aimera et nous viendrons chez lui (Jn 14, 23)
14
.
Oui, le langage biblique de Bernard, ses innombrables citations et
allusions scripturaires, loin d’être une coquetterie littéraire d’ecclé-
siastique, sont l’expression du fait que sa pensée est structurée par la
Parole de Dieu et fécondée par elle, que son expérience personnelle
est éclairée et comprise à sa lumière, jugée constamment par sa
norme. Cette attitude foncière lui permet en contrepartie de traiter
«∞∞avec une liberté extrême les paroles de l’Écriture
15
∞∞». Liberté mystique dont, au début de son troisième sermon pour la vigile de Noël,
il se plaît à signaler le fondement dans la tradition liturgique séculaire de l’Église. Saint Bernard commence par citer une antienne∞∞:
«∞∞Aujourd’hui, est-il dit, vous saurez que le Seigneur va venir
16
.∞∞» Ces
mots, il est vrai, ont trouvé place dans l’Écriture en leur temps (cf. Ex
16, 6). Mais ce n’est pas sans à-propos que notre Mère l’Église les a
choisis pour caractériser la vigile de la naissance du Sauveur. Oui,
l’Église, dis-je, elle qui possède en elle le conseil et l’Esprit de son
Époux et son Dieu. C’est elle, assurément, qui a blessé le cœur du
bien-aimé (Ct 4, 9), et le regard de sa contemplation plonge jusque
dans l’abîme même des secrets de Dieu, si bien que leurs cœurs, à elle
et à lui, sont devenus, l’un pour l’autre, une demeure définitive (cf. Jn
14, 23). Aussi, lorsqu’elle transforme ou déplace des mots de la sainte
Écriture, ce nouvel arrangement verbal a plus de force que le premier,
et peut-être même d’autant plus de force qu’il y a plus de distance
entre la figure et la vérité, entre la lumière et l’ombre
17
.
Quant à cette citation de Jn 14, 23, elle revient sous sa plume toujours comme un lieu théologique relatif à l’avènement actuel du
Christ. Voici comment, par exemple, la présence de cette référence
johannique dans un sermon pour la Dédicace infléchit tout de suite le
sujet vers une orientation mystique∞∞:
Quel temple édifierons-nous pour celui qui dit, et qui dit en vérité∞∞:
Je remplis, moi, le ciel et la terre (Jr 23, 24)∞∞? Je me trouverais dans
une situation tout à fait impossible, et mon esprit s’angoisserait au
dedans de moi (Ps 142, 4), si je n’entendais le Seigneur dire à propos
de quelqu’un∞∞: Moi et le Père, nous viendrons à lui et nous ferons
222 Gaetano Raciti, ocso
14
BERNARD DE CLAIRVAUX, Adv 5, 2.
15
J. MOUROUX, «∞∞Sur les critères de l’expérience spirituelle d’après les Sermons sur le
Cantique des Cantiques∞∞» dans Saint Bernard théologien, Analecta Sacri Ordinis cisterciensis
IX/3-4 (1953), p. 253-267, ici p. 261.
16
Antienne et répons de la vigile de Noël, reprenant Ex 16, 6-7.
17
BERNARD DE CLAIRVAUX, NatV 3, 1.
93706_Cistercien_02_Raciti 11-08-2010 15:14 Pagina 222chez lui notre demeure (Jn 14, 23). Voilà pourquoi, à présent, je sais
où il faut lui préparer une maison, car rien ne lui convient, sinon son
image. Oui, l’âme est capable de l’accueillir, puisque, on le sait, elle
a été créée à son image (Gn 1, 27). Aussi, dès lors, hâte-toi, orne ta
demeure, Sion, car le Seigneur a mis en toi sa complaisance, et ta
terre sera habitée (Is 62, 4). Exulte de toutes tes forces, fille de Sion
(Za 9, 9)∞∞: ton Dieu habitera en toi (Ap 21, 3). Dis avec Marie∞∞: Voici,
je suis la servante du Seigneur∞∞; qu’il m’advienne selon ta parole (Lc
1, 38). Reprends aussi les termes d’Elisabeth∞∞: Et d’où m’est-il donné
que la Majesté de mon Seigneur vienne à moi∞∞? (Lc 1, 43). Quelle
bienveillance de Dieu, en effet, quelle faveur de sa part, et quelle
dignité, quelle gloire pour les âmes∞∞: en elles le Seigneur de l’univers,
et qui n’a besoin de rien, ordonne qu’on lui bâtisse une demeure∞∞!
Voilà donc la grâce digne de lui, il nous faut mettre notre zèle à bâtir
en nous un temple pour le Seigneur, avec le souci d’abord qu’il habite
en chacun de nous, puis en nous tous ensemble, car il ne dédaigne ni
les personnes en particulier ni l’ensemble des personnes
18
.
La vie comme «∞∞aventure∞∞» spirituelle
Si le Christ vient aujourd’hui, dans l’aujourd’hui, dans le réel quotidien de la vie présente, alors l’histoire humaine, collective et personnelle, a une raison d’être positive et constructive∞∞: elle apparaît
comme le lieu d’une véritable aventure (ad-venture) spirituelle. Du
coup, se trouvent remises en question bien des manières de voir, de
juger et d’agir qui avaient cours jusqu’alors à l’intérieur d’une perspective où la temporalité était comme évidée, comme télescopée. À
partir de son intuition originelle, Bernard déploie une perspective
d’ensemble positive, unifiante et englobante de l’existence humaine
et de l’histoire. Tout est grâce ou occasion de grâce. Toute vie
humaine est le lieu d’une possible expérience de Dieu. Dans le réel
de la vie, il n’y a rien qui puisse radicalement l’empêcher, car dans
toute occurrence, situation ou condition, il y a au moins une ébauche
de grâce, puisque tout concourt à notre bien (cf. Rm 8, 26).
Oui, tout concourt au bien. Même et jusqu’au péché (etiam et peccatum, peccata ipsa). Pour ce qui est des péchés, ne concourent-ils pas
eux aussi au bien de celui qui, à cause d’eux, se montre plus humble,
plus fervent, davantage sur ses gardes, plus circonspect, plus prudent
19
∞∞?
C’est ainsi qu’à partir de Bernard, autour de lui et à sa suite, un
certain nombre d’accents se déplacent progressivement, des notions
Le message spirituel de saint Bernard 223
18
Ded 2, 2.
19
Div 1, 6 (trad. P.-Y. EMERY, Desclée De Brouwer, Paris 1982, p. 49).
93706_Cistercien_02_Raciti 11-08-2010 15:14 Pagina 223se transforment et changent de signe, des conceptions nouvelles se
font jour sur le plan théorique et pratique. Il en ressortira un remodelage foncier, non seulement de la conscience chrétienne, mais encore
de celle de l’homme occidental comme tel.
L’impact de la révolution bernardine déborde donc le pur domaine
de la vie spirituelle. Mais pour nous en tenir à son message spirituel,
notons que, dans la mesure même où la venue du Christ n’est plus
reléguée exclusivement au-delà du temps, l’enseignement évangé-
lique sur la vigilance (thème caractéristique des péricopes néotestamentaires relatives à la parousie, au dernier avènement) reçoit avec
Bernard une signification renouvelée en sa résonance d’intériorité.
L’attente, l’état d’éveil, pour être prêt lors de l’avènement eschatologique, se transmue en attention aux visites du Christ, avec leur alternance de présence et d’absence, les «∞∞vicissitudes∞∞». Attente comme
attention, avènement comme visite, temporalité comme vicissitude∞∞:
voilà la structure de l’existence et de l’expérience chrétienne, de la
plus humble à la plus élevée.
1. L’attention
Il ne s’agit pas pour Bernard d’une tension psychologique ou d’un
repli intimiste sur soi-même, mais d’un état intérieur de préparation et
d’accueil, un éveil du cœur qui présuppose le retour à son cœur par la
conversion, une transparence de l’âme aiguisée par l’amour, habitée
par une certaine qualité de silence intérieur et extérieur, qui se traduit
par une présence simple et droite au réel, à soi-même, à Dieu. L’un
des textes les plus représentatifs de saint Bernard sur le sujet est le
sermon 57 sur le Cantique des Cantiques. Quelques extraits nous en
donneront un avant-goût. Soulignons au préalable la richesse et la
variété du vocabulaire de l’attention-vigilance mis en œuvre en ces
lignes, ainsi que la manière dont Bernard, se servant des images poé-
tiques du Cantique des Cantiques comme catalyseur, interprète sans
violence des versets bibliques relatifs au premier et au dernier avènements, les mettant au service de l’avènement intermédiaire∞∞:
Qui aime veille et observe. Et heureuse l’âme que le Seigneur trouvera vigilante (Lc 12, 37)∞∞! Il ne la laissera pas de côté, il ne la négligera pas, il s’arrêtera pour lui parler, et lui dire des paroles d’amour,
des paroles de bien-aimé […]. Elle n’est pas en effet de ceux à qui le
Seigneur a sujet de reprocher qu’habiles à apprécier les bienfaits du
ciel, ils n’ont point su connaître le temps de son avènement (Mt 16,
4). L’Épouse est si adroite, si prudente, si prévoyante qu’elle l’a distingué de loin, lorsqu’il venait, qu’elle l’a vu bondir en son empressement. Et lorsqu’il était debout, caché derrière la muraille, elle a
224 Gaetano Raciti, ocso
93706_Cistercien_02_Raciti 11-08-2010 15:14 Pagina 224discerné sa présence, et senti qu’il regardait à travers les fenêtres et
le treillis […]. Qui de nous est assez vigilant, observe si bien le
temps où Dieu le visite, surveille avec assez de diligence chacune des
démarches de l’Époux dans son avènement, qu’à son arrivée et lorsqu’il frappe, il lui ouvre sans délai (Lc 12, 36∞∞; Ap 3, 20)∞∞? Car ce
passage ne s’applique pas si exclusivement à l’Église, que chacun de
nous, qui tous ensemble sommes l’Église, ne puisse participer à ses
bénédictions […]. Si quelqu’un de nous, fidèle au conseil du sage,
livre son cœur dès le matin à veiller pour Dieu qui l’a créé∞∞; s’il prie
en présence du Très-Haut (Si 39, 6)∞∞; s’il s’applique en même temps
de tous ses vœux à préparer les voies du Seigneur, selon l’expression
d’Isaïe, et à rendre droits ses sentiers (Is 40, 3), de façon à pouvoir
dire, avec David, un autre prophète∞∞: Mes yeux sont constamment
tournés vers Dieu (Ps 24, 15)∞∞; et∞∞: Je gardais le Seigneur devant moi
sans relâche (Ps 15, 8)∞∞: celui-là ne sera-t-il pas béni de Dieu et l’objet des miséricordes de son Sauveur (Ps 23, 5)∞∞? Il en recevra des
visites fréquentes∞∞; il n’ignorera jamais le temps de ces visites, fussent-elles clandestines et furtives. L’âme vigilante et sobre (1 P 5, 8)
le verra donc venir de loin […]. Et lorsqu’il sera près d’elle ou
devant elle, elle l’apercevra sur le champ∞∞; s’il la regarde, elle verra
avec joie son regard comme un rayon de soleil qui entre par les
fenêtres de la muraille, et enfin, elle entendra ces joyeuses paroles
d’amour∞∞: ma bien-aimée, ma colombe, ma toute belle
20
.
Pour Bernard, l’attention spirituelle est tout ensemble une grâce et
une fidélité qui annoncent la venue de Dieu. Mais une fidélité parce
qu’elle est d’abord une grâce. Saint Bernard y insiste souvent et avec
force. «∞∞C’est l’attention de Dieu qui prend l’initiative et rend l’âme
attentive∞∞» dit-il par exemple dans le sermon 69, 7 sur le Cantique et
dans le sermon 84 il a cette admirable formule∞∞: «∞∞Point tu ne chercherais si tu n’avais été déjà cherchée, comme tu n’aimerais si tu n’avais
été déjà aimée
21
.∞∞» Une telle considération fait ressortir, aux yeux de
Bernard, la grandeur et la dignité inimaginables de la créature humaine∞∞:
Admirable faveur d’un Dieu qui daigne ainsi se mettre en quête de
l’homme, et grande dignité de l’homme cherché de cette manière∞∞! Si
ce dernier voulait s’en glorifier, il ne se montrerait pas insensé (2 Co
12, 6)∞∞: s’en glorifier non pas certes dans l’illusion que quelque chose
de semblable puisse émaner de lui, mais à cause de la valeur que lui
confère celui qui l’a créé […] Seigneur, qu’est-ce que l’homme, que
tu le magnifies, qui est-il pour que tu approches de lui ton cœur (cf.
Ps 143, 3∞∞; Jb 7, 17)
22
∞∞?
Le message spirituel de saint Bernard 225
20
SCt 57, 1-4.
21
SCt 84, 5.
22
Adv 1, 7∞∞; dans la traduction de P.-Y. ÉMERY, Saint Bernard. Sermons pour l’année,
p. 43-44.
93706_Cistercien_02_Raciti 11-08-2010 15:14 Pagina 2252. La visite
L’attente donc comme attention. En second lieu, l’avènement
comme visite. Nous allons entendre à ce sujet le témoignage personnel que Bernard nous a livré dans le sermon 74 sur le Cantique. Ce
texte est d’autant plus important que Bernard y esquisse en filigrane
un enseignement sur les critères d’authenticité de l’expérience spirituelle. Une question en particulier sous-tend son exposé∞∞: dans la
mesure où il s’agit d’une expérience, quel rapport peut-on établir
entre le plan sensible et le plan spirituel∞∞?
J’avoue que jusqu’à moi aussi, le Verbe est venu – je parle en fou –
et qu’il est même venu plus d’une fois. Mais, aussi souvent qu’il est
entré en moi, je n’ai jamais perçu le moment de son entrée. J’ai senti
qu’il était là, je me souviens de sa présence. J’ai même pu pressentir
son entrée, mais la sentir, jamais. Pas plus que son départ. En effet∞∞:
d’où venait-il dans mon âme, où est-il allé en la quittant, par où
entrait-il∞∞? J’avoue que maintenant encore je l’ignore, selon cette
parole de l’Écriture∞∞: Tu ne sais ni d’où il vient ni où il va (Jn 3, 8).
Rien d’étonnant à cela, du reste, puisque c’est lui dont il est dit∞∞: Et
ses traces, nul ne les connut (Ps 76, 20)
23
.
Notons déjà une sorte de paradoxe que Bernard maintient en équilibre∞∞: il s’agit d’une expérience dans la foi, où la foi n’évacue pas
pour autant la dimension d’expérience et sa réalité. Le texte continue∞∞:
Ce n’est sûrement pas par les yeux qu’il est entré, car il n’avait pas de
couleur∞∞; ni par les oreilles car il n’a pas émis de son∞∞; ni par le nez,
car il ne se mêle pas à l’air, mais à l’esprit. Il n’est pas non plus entré
par la gorge, car on ne peut ni le manger ni le boire, pas plus qu’on
ne peut le prendre avec la main, car il ne fait pas partie de ce qu’on
peut toucher.
Par ces lignes, qui pourraient paraître redondantes et banales, saint
Bernard entend mettre en évidence l’un des grands risques inhérents
à l’expérience religieuse, le risque qui consisterait à faire descendre
la foi dans l’ordre du sensible, alors qu’il importe d’épurer la sensibilité par la foi, c’est-à-dire qu’il faut éviter soigneusement de prendre
la sensibilité comme élément central, mais lui laisser un rôle tangentiel. La sensibilité n’est que le lieu symbolique de l’action de Dieu
dans le cœur du croyant. Aussi Bernard est très attentif à démystifier
la tentation de réduire le symbolique à l’imaginaire, ce qui arriverait
si l’on était dupe, par exemple du schéma spatial du dehors et du
dedans, du haut et du bas.
226 Gaetano Raciti, ocso
23
SCt 74, 5-6, dans la traduction de P.-Y. ÉMERY, Invités aux noces, p. 138.
93706_Cistercien_02_Raciti 11-08-2010 15:14 Pagina 226Par où est-il donc entré∞∞? Ou peut-être n’est-il pas entré, parce qu’il
ne viendrait pas du dehors∞∞? C’est vrai, il ne fait pas partie des réalités extérieures. Mais il n’est pas non plus venu du dedans, car il est
bon, et en moi je le sais, rien n’est bon. Je suis alors monté au-dessus de moi-même∞∞: et le Verbe se tenait bien au-delà. Et je suis aussi
descendu, explorateur curieux, au-dessous de moi-même, et je l’ai
pourtant trouvé plus bas encore. Si j’ai scruté vers l’extérieur, ce fut
pour m’apercevoir qu’il est au-delà de tout ce qui m’est extérieur∞∞; et
si j’ai regardé vers l’intérieur, ce fut pour voir qu’il m’est plus inté-
rieur que moi-même. J’ai alors reconnu la vérité de cette parole que
j’avais lue∞∞: En lui nous avons la vie, le mouvement et l’être (Ac 17,
28). Heureux celui en qui le Verbe demeure, qui vit pour lui et se
meut par lui. Tu te demandes donc, puisque les chemins de Seigneur
sont impossibles à scruter, comment j’ai reconnu sa venue∞∞? C’est
qu’il est vivant et efficace. Sitôt entré, il a réveillé mon âme endormie∞∞: il a remué, assoupli et blessé mon cœur qui était dur comme la
pierre et se portait mal. Il s’est mis aussi à arracher et détruire, à
construire et planter, à arroser les terres desséchées, à illuminer les
ténèbres, à faire sauter les verrous, à enflammer les glaçons. Il a
redressé les voies tortueuses, aplani les chemins raboteux, de telle
sorte que mon âme bénisse le Seigneur, et que tout ce qui est en moi
loue son saint nom.
Ce qu’on éprouve, ce sont donc des signes indicatifs de la visite
divine. Signes variés, imprévisibles, mais comportant toujours «∞∞une
sorte de constante spirituelle∞∞: leur efficacité signifiante.∞∞» Les visites
du Verbe «∞∞sont efficaces, elles entraînent une transformation
consciente de l’âme∞∞; et la prise de conscience de ces effets signifiants∞∞», de ces fruits de l’esprit, «∞∞est une des dimensions de l’expé-
rience
24
∞∞», et ils la révèlent. En somme, l’authenticité de l’expérience
spirituelle ne dépend pas de ce que l’on sent. Elle ne se mesure pas à
l’intensité des résonances au niveau de la sensibilité, mais dans sa
visée. Cependant, il ne s’agit pas de se méfier de la sensibilité et de
l’affectivité, mais de ne pas les ériger en critères.
3. La vicissitude
Dans l’ici-bas du temps, de l’espace et de l’histoire, l’être humain
ne connaît pas «∞∞la permanence et la plénitude qui définissent l’éternité∞∞». «∞∞Il y éprouve les vicissitudes propres aux limites d’un amour
qui cherche, tâtonne∞∞», mûrit, évolue «∞∞et ne possède jamais que pour
perdre à nouveau
25
∞∞». L’alternance de présence et d’absence, de
Le message spirituel de saint Bernard 227
24
J. MOUROUX, art. cit., p. 262.
25
J. MOUROUX, art. cit., p. 261.
93706_Cistercien_02_Raciti 11-08-2010 15:14 Pagina 227consolation et d’épreuve, est donc le rythme essentiel, la loi structurale de la vie spirituelle ici sur terre
26
.
Ainsi, affirme par exemple Bernard, tant qu’on vit dans ce corps, la
présence de l’Époux peut nous être une joie qui se renouvelle fré-
quemment, mais c’est une joie mesurée∞∞: joie de la visite, mais tristesse de la vicissitude
27
.
Aux yeux de Bernard, la vicissitude, qui rend de courte durée la
visite intérieure, se révèle comme une économie divine (une «∞∞dispensation∞∞»), c’est-à-dire une forme de pédagogie qui éduque le
désir, le fait grandir et le dispose à cet abandon confiant, à cette
humilité profonde qui seuls permettent les premiers bourgeonnements de la vie mystique
28
. De plus, la vicissitude introduit dans
l’expérience spirituelle «∞∞un élément absolument imprévisible et très
particularisé∞∞», «∞∞à la fois suivant l’initiative souveraine de l’Esprit
(cf. SCt 21, 4), et suivant l’état actuel de l’âme
29
∞∞».
Ne le vois-tu pas, frère, celui qui marche selon l’Esprit ne peut nullement demeurer en permanence dans le même état intérieur, ni avancer toujours avec la même aisance. Cet homme n’est pas maître de
son cheminement, il dépend de la volonté de l’Esprit qui le guide et
lui permet, tantôt avec plus de lenteur, tantôt avec plus d’élan, d’oublier ce qui est en arrière et d’aller de l’avant. Je pense que, si vous y
êtes attentifs, votre expérience intérieure correspond à ce que je viens
d’exprimer. Si donc tu te sens atteint de torpeur, de découragement,
de dégoût, ne perds pas confiance pour autant et ne renonce pas à
l’ardeur de ta vie spirituelle. Au contraire, cherche la main de Celui
qui te porte secours, et à l’exemple de son Épouse, l’Église, implorele pour qu’il t’entraîne à sa suite, jusqu’à ce que tu retrouves, avec le
secours de la grâce, une course plus rapide et plus allègre
30
.
À propos de la vicissitude, saint Bernard vient de nous donner ici
la norme du bon «∞∞fonctionnement∞∞» de l’expérience spirituelle, à
savoir∞∞: plus une personne se livre à l’amour divin dans une attitude
d’abandon, dans une remise totale de soi à l’action et à la conduite de
l’Esprit, plus son existence va se dérouler sous le signe de la discontinuité, car, toujours davantage, cette personne renoncera à maîtriser,
à planifier soi-même sa propre vie. Mais discontinuité ne veut pas
dire pour autant instabilité. Au contraire, par là, l’Esprit va nous
mener vers une stabilité bien plus solide, parce que fondée en Dieu.
228 Gaetano Raciti, ocso
26
Cf. SCt 74, 1-4.
27
SCt 32, 3.
28
Cf. SCt 17, 1-2∞∞; 74, 3.
29
J. MOUROUX, art. cit., p. 261.
30
SCt 21, 4-5.
93706_Cistercien_02_Raciti 11-08-2010 15:14 Pagina 228Tant que la grâce t’assiste, réjouis-toi en elle∞∞; mais ne va pas estimer
que tu possèdes le don de Dieu par droit héréditaire, comme si tu
étais assuré de ne jamais pouvoir le perdre. Sinon, pour peu que Dieu
retire sa main et éloigne son don, aussitôt tu te briserais intérieurement et tu tomberais dans une tristesse exagérée […]. Ainsi, au jour
où tu es plein de courage, ne t’installe pas dans la sécurité, mais crie
à Dieu, avec le Prophète∞∞: Quand décline ma vigueur, ne m’abandonne pas (Ps 70, 9). Et au temps de l’épreuve, console-toi en disant
avec l’Épouse∞∞: Entraîne-moi, Seigneur, derrière toi, nous courrons à
l’odeur de tes parfums (Ct 1, 3). […] Dans l’instable succession des
réussites et de l’adversité, tu garderas une certaine image de l’éternité, je veux dire cette inviolable et inébranlable égalité d’une âme
ferme. Tu béniras Dieu en toutes circonstances, et tu feras prévaloir
en toi, au sein des ambiguïtés et des échecs de ce monde instable, une
stabilité intérieure pour ainsi dire perpétuelle, tout en commençant de
te rénover et de te réformer à l’antique image et à la ressemblance du
Dieu éternel – ce Dieu en qui n’existe aucun changement ni l’ombre
d’une variation (Jc 1, 17)
31
.
Dans la mesure où l’être humain s’abandonne paisiblement à la
discontinuité de l’action de l’Esprit, tout prend sens. C’est lorsqu’on
se cramponne à sa volonté et à son jugement propres que l’existence
semble devenir vide de sens, «∞∞insensée∞∞».
Le dernier avènement
La notion de vicissitude, trait caractéristique de l’expérience spirituelle dans l’aujourd’hui de l’histoire, permet de comprendre comment le réajustement doctrinal bernardin, si, d’un côté, il neutralise
l’eschatologisme idéologique, de l’autre, restaure la véritable eschatologie chrétienne, auparavant obscurcie et même évacuée par la
considération dramatique de la mort individuelle comme seule
échéance décisive pour la destinée éternelle. Dans le message spirituel de saint Bernard, la parousie, le dernier avènement du Christ,
joue le rôle de pôle dynamique, attirant et parachevant le sens de
l’histoire. En effet, l’avènement intermédiaire, avec sa dialectique du
déjà-là et du pas-encore est un chemin qui conduit du premier avè-
nement historique de l’incarnation au dernier avènement eschatologique de la parousie
32
. Ce chemin est un processus de christification
de toute la personne humaine, sous l’action de l’Esprit Saint. C’est
une transfiguration progressive qui investit tous les plans de l’être et
qui procède, pour ainsi dire, du centre à la périphérie, de l’intérieur à
Le message spirituel de saint Bernard 229
31
SCt 21, 5-6.
32
Cf. Adv 5, 1-2.
93706_Cistercien_02_Raciti 11-08-2010 15:14 Pagina 229l’extérieur, bref, du cœur au corps. Ainsi nous devenons peu à peu
pré-configurés ou prêts à être configurés au corps glorieux du Christ
ressuscité. Et la parousie est le développement, la manifestation,
l’accomplissement dernier d’une transformation en train de se produire au sein de la temporalité et, en partie, déjà réalisée, déjà là.
Voici un raccourci saisissant de cette vision théologique∞∞:
Le Christ, qui est vie éternelle, lui qui dès maintenant habite en nos
cœurs par la foi (Ep 3, 17), sera notre vie lorsqu’il paraîtra et que
nous paraîtrons avec lui dans la gloire (Col 3, 4). Et lui, qui pour le
moment est caché dans notre cœur, jaillira alors, pour ainsi dire, de
notre cœur jusqu’à notre corps, quand il transformera notre humble
corps en le conformant à son corps glorieux (Ph 3, 21). Dans ce
même sens, un autre Apôtre dit∞∞: Dès maintenant nous sommes
enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté (1 Jn 3, 2)
33
.
Le dernier avènement, saint Bernard y insiste, ne se situe donc pas
dans un au-delà spatio-temporel, dans un lieu imaginaire
34
∞∞; il n’est
pas un événement extrinsèque, survenant de l’extérieur, mais l’éclatement plénier et dernier, lui-même sans fin, d’un dynamisme de
conformation au Christ glorieux, déclenché dans l’existence terrestre
par l’avènement intermédiaire et spirituel. Dès lors, la conception de
la vie éternelle se trouve elle-même renouvelée et vivifiée∞∞:
Les souffrances du temps présent sont sans commune mesure avec la
gloire qui doit se révéler en nous (Rm 8, 18). Quelle merveilleuse
promesse∞∞: de tous nos désirs, embrassons-la∞∞! De fait, nous ne serons
pas là comme de simples spectateurs amorphes, et cette gloire ne se
révèlera pas à nous comme de l’extérieur, mais en nous. Nous verrons
Dieu face à face (1 Co 13, 12), mais non hors de nous, car il sera en
nous, lui qui sera tout en tous (1 Co 15, 28) […]. Mais quoi∞∞? Suffitil simplement de dire que la gloire, loin de nous demeurer extérieure,
nous sera intérieure∞∞? Mais c’est maintenant déjà qu’elle est en nous,
et alors elle ne fera que se révéler. Dès maintenant, nous sommes
enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté (1 Jn 3, 2)
35
.
Précisons que, pour Bernard, cette révélation de la gloire n’est pas
un état ponctuel et statique, mais un élan ouvert à l’infini, à la
mesure de l’immensité de Dieu, à la mesure de la réciprocité de
l’amour, à la mesure de la nature du désir humain. Car précisément
la vision béatifique n’est pas un spectacle à contempler, mais un
230 Gaetano Raciti, ocso
33
Div 82, 1.
34
Cf. Pre XX, 61.
35
Div 1, 4.
93706_Cistercien_02_Raciti 11-08-2010 15:14 Pagina 230mouvement qui, dans une communion d’amour illimitée
36
, nous
entraîne à devenir de plus en plus semblables à Dieu.
Qu’elle est admirable et tout à fait surprenante, cette ressemblance
entre Dieu et l’homme, cette ressemblance dont s’accompagne notre
vision de Dieu, ou plus exactement∞∞: cette ressemblance en quoi
consiste notre vision de Dieu – je veux parler de ce qui se réalise dans
l’amour. Car c’est l’amour qui est cette vision et qui est cette ressemblance
37
.
Et, au début du sermon 84, il ajoute∞∞:
Cherchez sa face toujours, dit le Psalmiste (Ps 104, 4). À mon sens,
même une fois qu’on l’aura trouvé, on ne cessera pas de le chercher.
Cette quête n’est pas celle de nos pieds qui courent, mais celle de nos
désirs. Et le bonheur de trouver n’épuise pas un saint désir, au
contraire il l’amplifie. En atteignant sa plénitude, la joie consumeraitelle le désir∞∞? Non, elle est bien plutôt de l’huile, pour lui qui est une
flamme. Oui, c’est ainsi∞∞: l’allégresse atteindra sa plénitude, mais le
désir, lui, n’aura pas de fin, et par conséquent la quête non plus.
Essaie donc, si tu le peux, de te représenter une quête sans relâche
alors qu’on ne manquerait de rien, et un désir que n’accompagnerait
aucune inquiétude∞∞! Car la présence de ce qu’on cherche supprime
l’inquiétude, et l’abondance exclut le manque
38
.
Le Fiat de Marie
Au regard contemplatif de l’abbé de Clairvaux, la Vierge de l’Annonciation représente, peut-on dire, l’archétype ou l’icône de l’expé-
rience mystique. Par et dans le fiat de Marie, le premier avènement
coïncide avec l’avènement intermédiaire, il l’est à son plus haut
degré de réalité. Écoutons donc la Vierge expliciter, en des variations
lyriques, le contenu de son fiat∞∞; mieux encore, participons nous
aussi à l’avènement sacré. Comme dans un triptyque ancien, plaçonsnous discrètement dans les panneaux de droite et de gauche. À
genoux, tout petits, soyons là, rendons-nous contemporains de ce
mystère primordial, communions à ce sacrement originel∞∞:
Qu’il me soit fait selon ta parole. Qu’au sujet de ta Parole, il me soit
fait selon ta parole. Que la Parole qui dès l’origine était auprès de
Dieu se fasse chair de ma chair selon ta parole. Quelle se fasse en
moi, je t’en supplie, non pas parole proférée et transitoire, mais
Parole conçue qui demeure∞∞: Parole revêtue de chair, et non de vain
Le message spirituel de saint Bernard 231
36
Cf. SCt 84, 1.
37
SCt 82, 8.
38
SCt 84, 1.
93706_Cistercien_02_Raciti 11-08-2010 15:14 Pagina 231souffle. Qu’elle se fasse pour moi non pas seulement perceptible à
mes oreilles, mais visible à mes yeux, palpable à mes mains, et que je
puisse la porter dans mes bras. Qu’elle se fasse pour moi non pas
parole écrite et muette, mais parole incarnée et vivante∞∞; non pas
signes inertes tracés sur le parchemin, mais Parole à forme humaine
imprimée vivante dans mes entrailles∞∞; non pas modelée par une
plume sans vie, mais gravée par l’opération du Saint-Esprit. Que me
soit fait ainsi ce qui jamais n’advint ni n’adviendra à personne. Dieu,
jadis, a parlé souvent et de bien des manières aux Patriarches et aux
Prophètes∞∞; la Parole leur a été donnée à entendre ou à proclamer ou
à pratiquer, par l’oreille, par la bouche, par la main. Quant à moi, je
demande qu’elle soit faite en mon sein selon ta parole. Je ne souhaite
pas qu’elle soit faite en moi comme la parole proférée de la prédication, ou celle qu’expriment symboles et figures, ou celle qui se communique à l’imagination dans les songes∞∞; mais qu’elle soit faite en
moi Parole insufflée dans le silence, incarnée dans une personne, corporellement mêlée à ma chair. Cette Parole n’avait ni la possibilité ni
le besoin d’être faite en elle-même∞∞: qu’elle daigne donc se faire en
moi, qu’elle daigne se faire pour moi selon ta parole. Qu’elle se fasse
pour le monde tout entier, mais qu’en particulier elle soit faite en moi
selon ta parole. Amen
39
.
Abbaye N.-D. d’Orval Gaetano RACITI, ocso
B – 6823 Villers-devant-Orval