Chapelle de Baumgarten, dimanche 13 janvier 2013

Chers frères et sœurs dans le Christ,

« Tout le peuple se faisait baptiser. » Ce terme très large, « tout le peuple », que nous venons d’entendre dans l’évangile, m’a beaucoup frappé. Il n’est certainement pas une simple approximation, pour dire qu’il y avait ‘beaucoup de monde’. Le premier emploi de cette expression dans la Torah arrive en effet dans le livre de la Genèse, au récit du péché des habitants de Sodome : « La maison [de Lot] fut cernée par les hommes de la ville, les gens de Sodome, depuis les jeunes jusqu’aux vieux, tout le peuple sans exception. « Une expression qui nous ramène donc à la condition pécheresse de tout un groupe d’hommes, à la complicité dans le péché d’une multitude déterminée.

Si saint Luc utilise ici cette expression « tout le peuple », c’est pour dire que cet événement du baptême de Jésus concerne tout le peuple d’Israël, tous ceux qui étaient concernés par l’appel de Jean-Baptiste, au-delà même du cercle concret de ceux qui y ont répondu. Ce baptême d’eau était un signe de conversion et de pénitence, cette attitude à laquelle tous les hommes sont appelés pour accueillir le Salut – au-delà du peuple d’Israël, nous savons que toute l’humanité est finalement englobée.

Dans le temps de Noël, nous avons longuement médité sur l’Incarnation du Christ, sur Sa venue comme homme parmi les hommes, assumant une vraie nature d’homme en toutes choses – excepté le péché. En ce jour où Jésus inaugure Son ministère public, Il manifeste sa profonde solidarité avec nous, jusqu’à cette condition de pécheur. Lui-même n’a pas connu le péché, mais « Dieu l’a fait péché pour nous », dira saint Paul, « afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu. » Au temps d’Abraham, de la ville dévoyée par le péché, Lot, le seul juste, avait été extrait par la miséricorde de Dieu, avant que le châtiment ne s’abatte sur tout le peuple. A l’heure du Salut, le Christ, unique homme juste, Se fait solidaire du peuple pécheur, pour porter sur Lui le châtiment et transmettre aux hommes sa sainteté. Car telle est la méthode de Dieu pour vaincre notre péché : descendre jusqu’à nous, jusqu’au plus profond de nous et même jusqu’à ce qui est tellement profond en nous, ce mystère du péché qui est par nature étranger à Dieu ; descente au terme de laquelle Il nous unit à Lui et nous remonte en Lui vers la joie de la vie divine.

Le Messie annoncé par les prophètes, jusqu’à Jean-Baptiste, devait se caractériser par une puissance incomparable, il est celui « qui baptise dans le feu », celui qui « vient avec puissance, [et dont le] bras est victorieux » selon Isaïe. Dans la première lecture, ce prophète complète cependant le portrait par une image bien différente : « comme un berger, il conduit son troupeau ; il porte les agneaux sur son cœur. » Il y a là comme un pressentiment de cette tendresse de Dieu, exprimée par saint Paul dans la seconde lecture, tendresse qui marquera l’accomplissement ultime des prophéties ; car Dieu a une telle puissance qu’Il est capable d’éviter la violence que notre péché y lie habituellement. Il est tellement grand qu’Il peut Se rendre petit. Lui qui est le vrai Roi est tellement pédagogue dans Sa manière de nous gouverner, qu’Il ne craint pas de Se faire humble devant nous, de prendre le rang du serviteur.

Cette humilité de Jésus a marqué Jean-Baptiste ; elle a bouleversé l’image qu’Il se faisait de la grandeur de Dieu. Et pourtant, cette humilité était indispensable pour relier ciel et terre : pour nous frayer un chemin vers le baptême dans l’Esprit, vers le plongeon dans la vie de Dieu, le Fils éternel n’a pas craint de se frayer un chemin vers nous, par le baptême dans l’eau du Jourdain. Pour briser notre orgueil, cet orgueil qui est capable de nous séparer éternellement de Dieu, Il ne pouvait répondre que par l’humilité la plus compatissante. L’humilité qui veut obtenir la communion à tout prix. Quitte à assumer toutes les conséquences de notre péché, à devenir la tête du corps mystique de l’humanité pécheresse, effrontément opposé à Dieu – Lui qui est éternellement tourné vers le Père, dans l’intime communion de la Trinité sainte. Pour que ce corps soit entièrement revitalisé par l’Esprit-Saint.

Ce mystère de Salut nous rejoint ce matin, dans la célébration de l’Eucharistie. Il nous rejoint une fois encore : Dieu est tellement patient qu’Il ne craint pas d’être répétitif. Que Son humble obstination à nous rejoindre nous touche aujourd’hui, pour que nous osions, à Son exemple et selon Ses inspirations, prendre un chemin d’humilité vers Lui et vers nos frères. Demandons-Lui la grâce de la force et du courage pour vivre cette humilité, afin que se réalise en nous Son Projet de divine communion. Entrons de toute notre foi dans le mystère de l’Eucharistie, et dans notre union au Fils unique, notre cœur trouvera la source de la joie des enfants de Dieu, cette joie que le monde ne connaît pas et que nul ne pourra nous ravir. Amen.

fr. M.-Théophane +