LE PETIT EXORDE

 


Lettre des premiers moines de Cîteaux à leurs successeurs sur le début du monastère de Cîteaux

 

Nous, les moines de Cîteaux, premiers fondateurs de cette Eglise, nous écrivons aux moines qui vont venir après nous. Par cet écrit, nous leur faisons connaître comment ce monastère a commencé, et de quelle façon nous avons vécu en ce lieu. Nous racontons comment tout cela s’est passé, selon le droit de l’Eglise et avec quels supérieurs. Nous donnons le nom et la date des événements.

Avec cet écrit, on pourra bien connaître la vérité sur le début de notre famille. Alors, ceux qui viendront après nous aimeront plus fortement ce lieu et notre façon de vivre la Règle . C’est Dieu qui nous a donné de commencer à mener cette vie.

Nous avons supporté le poids du jour et de la chaleur, sans nous décourager. Nous demandons à ceux qui viendront après nous de prier pour nous.

La Règle montre un chemin difficile et étroit. Sur ce chemin, nos successeurs fatigueront jusqu’à le dernier souffle. Mais un jour, ils déposeront leur corps comme on dépose un poids, et ils pourront se reposer, heureux, dans un repos sans fin.

1. Comment le monastère de Cîteaux a commencé

En 1098, depuis que le Seigneur s’est fait homme, Robert est le premier abbé de Molesme, au diocèse de Langres. Avec quelques frères de Molesme, il va rendre visite à Hugues, homme digne de respect. A cette époque, Hugues est archevêque de Lyon et représentant du pape. Robert et ses frères promettent de mettre leur vie bien en ordre en pratiquant la Règle de saint Benoît, leur père.

Ils veulent être plus libres pour y arriver. C’est pourquoi ils demandent avec force à l’archevêque de les aider. Ils lui demandent aussi de leur obtenir la protection du pape.

Hugues se réjouit de leur projet et il donne son accord. Il écrit pour eux la lettre qui suit. Oui vraiment, par cette lettre Hugues pose les fondements de la communauté de Cîteaux.

2. Hugues, le représentant du pape, écrit à Robert, abbé de Molesme

 » Moi, Hugues, archevêque de Lyon et représentant du pape, j’écris à Robert, abbé de Mosleme, et aux frères qui désirent servir Dieu avec lui, en suivant la Règle de saint Benoît.

Voici ce que je veux dire à toutes les personnes qui se réjouissent des progrès de la saint Eglise, notre mère. Vous-mêmes et quelques uns de vos fils de Molesme, vous êtes venu me voir à Lyon. Vous avez dit que vous vouliez suivre, plus fidèlement et de façon plus parfaite, la Règle du très saint Benoît. Cette Règle, vous la suiviez déjà à Molesme, mais avec paresse et négligence.

Il faut quitter Molesme

Ce projet ne peut se réaliser à Molesme. Plusieurs raisons s’y opposent, c’est clair. Moi, je désire le bien spirituel de tous : le bien des frères qui quittent Molesme et celui des frères qui y restent. Je juge utile pour vous de partir dans un autre lieu. Dieu est généreux : il vous l’indiquera. Vous y servirez le Seigneur avec plus de profit et dans une plus grande paix.

Voici quelques temps, je vous ai donné ce conseil à vous tous qui êtes venus à Lyon : à vous, abbé Robert, et à vous, frère Albéric, Odon, Jean, Etienne, Létald et Pierre.

Maintenant, c’est un ordre que je vous donne : oui, restez fidèles à ce projet, vous tous et ceux que vous choisirez comme compagnons. Vivez selon la Règle et soyez bien d’accord entre vous. Je confirme pour toujours votre projet par mon autorité apostolique, et j’imprime ma signature au bas de cette lettre « .

3. Des moines quittent Molesme pour construire un nouveau monastère à Cîteaux

Après cette visite à Hugues, l’abbé Robert et ses frères reviennent à Molesme. L’autorité si grande et importante de l’évêque Hugues leur donne beaucoup de courage. Ils choisissent comme compagnons des moines qui désirent vivre selon la Règle. En tout, ils sont vingt et un. Il y a ceux qui reviennent de Lyon, et ceux qu’on vient d’appeler de Molesme. Tout ce groupe se rend, d’un pas léger, en un lieu désert, au diocèse de Chalon.

Les gens le connaissent et l’appellent Cîteaux. Il est couvert d’arbres et de buissons d’épines. Personne n’habite là, sauf les bêtes sauvages.

Pourquoi les fondateurs choisissent-ils ce désert ?

Ces hommes de Dieu arrivent donc en ce lieu. Dans leur coeur, ils ont formé le projet de vivre en moines. Ils sont venus pour cela. Ils trouvent un endroit que les gens méprisent et où personne ne peut habiter.

C’est pourquoi ils le trouvent très bon pour leur projet. Ils se mettre à couper les arbres et à arracher les buissons d’épines. L’évêque de Chalon veut un monastère. Le propriétaire du terrain étant d’accord, les frères commencent à construire.

Pourquoi les frères ont-ils quitté Molesme ?

Quand ils étaient à Molesme, les frères ont parlé entre eux, assez souvent, avec l’aide de Dieu. Ils se sont dit :  » Nous ne suivons la Règle du bienheureux Benoît, le Père des moines « . Ils regrettent cela et ils en sont tristes. En effet, eux-mêmes et les autres frères de Molesme ont promis de suivre la Règle de saint Benoît. Ils ont pris cet engagement solennel devant tout le monde. Pourtant, ils ne suivent pas du tout cette Règle ! Alors ils sont coupables d’une faute très grave -et ils le savent- ; ils ont fait une promesse et ne la respectent pas ! C’est pourquoi, nous l’avons dit, ils ont demandé au représentant du pape la permission de la réaliser. Tout de suite après, et très vite, ils arrivent ensemble dans ce désert. Ils veulent vivre totalement leur engagement monastique, et pratique leur Règle avec fidélité.

Un grand notable aide les frères

Eudes, duc de la province de Bourgogne, est très content de voir ce feu qui brûle le coeur des moines. Le représentant du pape lui écrit en lui demandant de les aider. Les frères avaient commencé à construire un monastère en bois. Eudes le termine ; il paie toutes les dépenses. Pendant longtemps il donne aux frères tout ce qu’il faut : des terres, des boeufs… Il est très généreux.

4. Comment Cîteaux devient un abbaye

A la même époque, l’évêque de ce diocèse donne à l’abbé Robert le bâton de berger et le charge de conduire les frères venus avec lui. C’est le représentant du pape qui a donné cet ordre. Selon la loi qui organise la vie des moines, l’abbé demande aux frères de promettre de rester toujours stables en ce lieu. Alors cette communauté grandit et, selon la loi de l’Eglise, elle devient une abbaye par l’autorité du pape.

5. Les moines de Molesme demandent aux pape Urbain II le retour de l’abbé Robert

Peu de temps après, des moines de Molesme vont à Rome voir le pape Urbain II. Ils ont l’accord de Geoffroy qui est abbé après Robert. Ils demandent au pape de faire revenir Robert pour qu’il reprenne sa charge d’abbé. Le pape est ennuyé de leur insistance. Il parle de cela à Hugues, son représentant. Si la chose est possible, l’abbé Robert doit revenir à Molesme, et les moines qui aiment le désert peuvent rester à Cîteaux dans la paix.

6. Urbain II écrit à Hugues de faire revenir Robert à Molesme

 » Moi, Urbain, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, je salue et bénis Hugues, mon représentant, mon frère respecté qui est évêque avec moi. Pendant notre réunion, j’ai entendu les supplications des frères de Molesme. Ils demandent avec insistance le retour de leur abbé. Ils disent en effet :  » La vie monastique est en ruine à Molesme. Maintenant, les notables et nos voisins nous détestent. C’est le départ de notre abbé qui cause toutes ces difficultés « .

Mes frères les évêques me poussent aussi à agir. Par ces lettres, je vous confie une mission. Si la chose est possible, je serai satisfait si cet abbé quittait le désert de Cîteaux pour revenir à Molesme.

Mais si ce n’est pas possible, voici ce que vous devez chercher : ceux qui aiment le désert doivent rester dans la paix, et ceux qui vivent au monastère doivent obéir à la Règle « .

Le représentant du pape lit cette lettre. Il réunit les hommes sages et fidèles à Dieu. Il trouve alors une solution pour cette affaire, comme on peut le voir dans le texte qui suit.

7. Lettre de Hugues à l’évêque de Langres

 » Moi, Hugues, serviteur de l’Eglise de Lyon, je salue Robert, mon frère très aimé, évêque de Langres.

Une réunion a eu lieu à Port d’Anselle, voici peu de temps. Nous avons étudié l’affaire de la communauté de Molesme, et nous avons pris une décision. Il nous semble nécessaire de vous la faire connaître. Des moines de Molesme sont venus nous voir et ils nous ont apporté votre lettre. Ils ont présenté la triste situation de leur abbaye, et ont parlé des graves problèmes causés par le départ de Robert, leur abbé. Ils demandent avec force que leur père leur soit rendu. Ils disent :  » C’est le seul moyen pour retrouver la paix, la tranquillité et la discipline monastique à Molesme « . Vous avez nommé le frère Geoffroy comme abbé de ce monastère. Lui aussi est venu nous voir. Il nous a dit :  » Je laisserai volontiers ma place à Robert, mon père, si vous acceptez de le renvoyer à Molesme « .

Nous avons écouté votre demande et celle des frères de Molesme. Nous avons relu les lettres de notre Saint Père le pape sur cette affaire. Il confie tout à notre jugement et à notre décision. De nombreuses personnes de confiance étaient donc réunies en conseil. Parmi elles il y avait des évêques. Nous avons fait bon accueil à vos prières et à celles des frères. Et nous avons décidé de rendre l’abbé Robert à Molesme.

Pourtant, avant d’y retourner, il ira à Chalon, auprès de mon frère, l’évêque Gautier. Robert avait promis de lui obéir, comme tous les abbés le font. Il rendra à l’évêque son bâton de berger et sa charge d’abbé. Les moines du Nouveau Monastère se sont engagés dans la vie monastique en présence de Robert, et c’est à Robert qu’ils ont promis d’obéir. Robert les libérera de l’engagement qu’ils ont pris envers lui et de la promesse d’obéissance qu’ils lui ont faite.

L’évêque Gautier libérera, lui aussi, Robert de la promesse qu’il lui avait faite, à lui-même et à l’Eglise de Chalon. Nous avons permis à tous les frères du Nouveau Monastère qui ont suivi Robert quand il a quitté Cîteaux de rentrer avec lui à Molesme. Mais, pour l’avenir, les moines de Molesme ne prendront pas la liberté d’inviter les frères de Cîteaux à venir habiter chez eux, et ils ne les recevront pas. De même les moines de Cîteaux n’inviteront pas chez eux les frères de Molesme, et ils ne les recevront pas. On doit faire comme le bienheureux Benoît l’ordonne quand on reçoit les moines d’un monastère connu.

Robert, lui, fera ce qu’on lui a donné. Ensuite, nous le confions à votre bonté pour que vous le rendiez comme abbé à la communauté de Molesme. S’il quitte cette abbaye encore une fois -en effet, il a l’habitude de changer facilement de monastère -, aucun autre abbé ne prendra sa place pendant la vie de l’abbé Geoffroy, sans mon accord, sans le vôtre et sans celui de Geoffroy. Nous ordonnons que toutes ces décisions soient reçues comme venant de l’autorité du pape.

En quittant Molesme, l’abbé Robert avait emporté ce qu’il fallait pour célébrer l’Eucharistie et plusieurs autres objets. Il avait tout cela avec lui quand il est allé voir l’évêque de Chalon et en arrivant à Cîteaux. Ils appartiennent maintenant aux frères de Cîteaux. Il y a seulement un bréviaire qu’il faut rendre à Molesme. Mais on doit le recopier avant. On pourra le garder à Cîteaux jusqu’à la fête de saint Jean Baptiste. Les frères de Molesme sont d’accord pour cela.

Voici le nom des personnes qui ont pris part à ces décisions : les évêques Norgaus d’Autun, Gautier de Chalon, Béraud de Mâcon, Pons de Belley ; les abbés Pierre de Tournus, Jarente de Dijon, Gausserand d’Ainay ; il y avait aussi Pierre, serviteur du pape, et d’autres personnes justes et de bonne réputation « .

Robert revient à Molesme

L’abbé Robert approuve la décision et il fait ce qu’on lui dit. Il rend la liberté aux moines qui lui ont promis obéissance, à Molesme ou à Cîteaux. Gautier, l’évêque de Chalon, le libère de sa charge envers Cîteaux. Robert rentre à Molesme avec certains moines qui n’aiment pas le désert.

Ces décisions du représentant du pape sont plein de sagesse. Ainsi les deux abbayes restent dans une très grande paix et gardent une très grande liberté. En revenant à Molesme, l’abbé Robert emporte avec lui, comme un bouclier qui le protège, la lettre qu’il doit présenter à son évêque. Voici cette lettre.

8. Gautier, l’évêque de Chalon, recommande l’abbé Robert à l’évêque de Langres

 » Moi, Gautier, serviteur de l’Eglise de Chalon, je salue Robert, évêque de Langres, mon frère très aimé, évêque comme moi. Voici ce que je veux vous faire connaître :

J’avais confié au frère Robert l’abbaye qu’on appelle le Nouveau Monastère et qui est située dans mon diocèse. Mais Hugues, l’archevêque, a pris une décision à son sujet. A cause de cette décision, j’ai libéré Robert de tout engagement envers l’Eglise de Chalon, et de la promesse d’obéissance qu’il avait faite. Le frère Robert a libéré du lien d’obéissance envers lui les moines qui ont décidé de rester au Nouveau Monastère. Il les a libérés aussi de tout autre devoir envers lui. N’hésitez donc pas à le recevoir et à le traiter avec honneur « .

9. Les moines choisissent Albéric comme premier abbé de Cîteaux

La communauté de Cîteaux a perdu son berger. Alors les moines se réunissent pour choisir un abbé, comme la Règle le demande. Ils choisissent le frère Albéric. C’est un homme qui a fait des études sérieuses. Il connaît bien les choses de Dieu et les sciences humaines. Il aime la Règle et les frères. Pendant assez longtemps, il a été second de l’abbé à Molesme, puis à Cîteaux. Il a travaillé beaucoup et pendant longtemps pour que les frères puissent passer de Molesme à Cîteaux. Pour cette affaire, on lui a lancé beaucoup d’insultes, il a connu la prison et reçu des coups.

10. Albéric demande au pape Pascal II de protéger Cîteaux

Albéric résiste beaucoup, puis il accepte la charge de berger. C’est un homme qui sait voir loin. Il se met à réfléchir. Des difficultés vont peut-être secouer la maison qui lui est confiée. Aussi, avec l’accord de ses frères, Albéric prend des précautions pour l’avenir. Il envoie à Rome deux frères, Jean et Ibold, qui doivent parler au pape Pascal II de sa part. Ils demanderont au pape de protéger le monastère par son autorité, pour qu’il reste toujours en paix et sécurité. Albéric demande aussi que personne, parmi les clercs ou parmi les laïcs, ne fasse rien contre Cîteaux. Les deux messagers emportent avec eux des lettres de recommandation, celle de Hugues, archevêque de Lyon, celle des cardinaux Jean et Benoît, et celle de Gautier, évêque de Chalon. Ils font le voyage aller et retour sans difficultés. C’était avant la faute que le pape Pascal II a commise dans la prison de l’Empereur.

Jean et Ibold rapportent de Rome le texte officiel de protection. C’est tout à fait ce qu’Albéric et ses compagnons souhaitaient. Nous avons jugé bon de garder dans ce livre les lettres de recommandation et le texte du pape qui accorde à Cîteaux la protection de Rome. Ainsi, ceux qui viendront après nous pourront comprendre avec quelle grande sagesse et quelle autorité notre communauté a été fondée.

11. Lettre de recommandation des cardinaux Jean et Benoît

 » Nous, Jean et Benoît, vos serviteurs en toutes choses, nous écrivons au pape Pascal II, à vous, notre supérieur et notre Père, qui méritez partout de très vives félicitations. Votre rôle est de veiller sur toutes les communautés chrétiennes, et d’aider ceux qui vous adressent de justes demandes. La religion du Christ doit se développer avec notre aide. C’est pourquoi nous osons vous demander avec force de bien vouloir ouvrir votre coeur de père aux frères qui portent ces lettres. Ceux qui les envoient sont des moines fidèles à Dieu, et c’est nous qui leur avons conseillé ce voyage. Nous nous souvenons du pape Urbain qui vous a précédé. Il avait pris une décision pour que les moines de Molesme et de Cîteaux vivent dans la paix et la stabilité. Sur l’ordre du pape Urbain, l’archevêque de Lyon, qui était son représentant, a étudié cette décision avec d’autres évêques et avec des abbés. Ensemble, ils ont précisé les relations à maintenir entre l’abbaye de Cîteaux et celle de Molesme. En effet, les frères de Cîteaux ont quitté Molesme, parce qu’ils voulaient vivre autrement la vie monastique.

Les protecteurs de cette lettre vous demandent une faveur à vous qui être notre chef : ne changez pas la décision du pape Urbain. Nous avons vu nous-mêmes la façon de vivre de ces moines et nous sommes témoins qu’elle est bonne « .

12. De Hugues, l’archevêque de Lyon

 » Moi, Hugues, serviteur de l’Eglise de Lyon, j’écris au pape Pascal, à vous, mon maître et mon Père très respecté, à qui je suis entièrement dévoué.

Les frères qui vous portent ces lettres passent me visiter. Ils habitent dans ma province, au diocèse de Chalon, et vont vous rendre visite à vous, leur Père très respecté. Ils me demandent, à moi qui suis sans importance, une lettre de recommandation pour vous qui êtes placé à la tête de l’Eglise.

Ces moines viennent d’une abbaye nommée  » le Nouveau Monastère « . Avec leur abbé, ils ont quitté la communauté de Molesme pour venir habiter en ce lieu. Ce qu’ils veulent, c’est mener une vie plus sévère et plus cachée, loin du monde. Ils ont promis de suivre la Règle de saint Benoît. C’est pourquoi, ils ont abandonné les coutumes mauvaises de certains monastères. Là, les moines se croient trop faibles pour observer la Règle qui pèse trop lourdement.

A cause de cela, les moines de Molesme et quelques moines voisins les attaquent et les troublent sans arrêt. En effet, voici ce qu’ils pensent :  » Si on voit ces nouveaux moines habiter près de nous, les gens vont dire que nous ne valons rien et que nous sommes dignes de mépris ! « 

C’est pourquoi nous vous présentons une demande avec humilité, confiance et grand amour, à vous qui êtes notre Père. Ces frères mettent toute leur espérance en Dieu, puis en vous. Ils se confient à votre autorité de Père. Aussi nous vous demandons de les regarder avec bonté, selon votre habitude. Protégez leurs personnes et leur monastère contre ces attaques et ces oppositions. Pour cela, veuillez leur donner un écrit officiel favorable. Car ce sont des pauvres du Christ. Contre ces moines jaloux, ils ne cherchent pas du tout à se défendre avec des richesses ou par la force. Mais ils mettent leur espérance uniquement dans la bonté de Dieu et dans la vôtre « .

 

13. Gautier, évêque de Chalon, écrit au pape Pascal

 » Moi, Gautier, évêque de Chalon, j’écris au pape Pascal, mon Père très respecté. Je vous salue humblement et suis votre serviteur obéissant.

Vous souhaitez vivement que les chrétiens progressent sur le chemin du Christ. Soyez leur protecteur et leur soutien. C’est pourquoi voici ce que nous vous demandons avec force. Les frères présents devant vous ont quitté la communauté de Molesme, sur le conseil de personnes fidèles à Dieu. Ils désirent mener une vie plus dure. Dans sa bonté Dieu les a menés dans mon diocèse. Ces moines ont envoyé les porteurs de lettres que vous recevez en ce moment. Sur l’odre du pape Urbain, nommé avant vous, l’archevêque de Lyon, qui était son représentant, a pris des décisions au sujet de ces moines. J’étais moi-même présent avec d’autres évêques et des abbés. Nous avons pris part à ces décisions et nous en avons signé le texte. Pour que l’abbaye de Cîteaux reste pour toujours une abbaye libre, nous vous demandons de donner votre accord à ces décisions, en écrivant une lettre officiel pour les appuyer. Bien sûr, ce texte doit respecter nos droits, et ceux de nos successeurs. Nous avons établi un abbé à Cîteaux. Lui-même et les autres frères vous demandent vivement de bien vouloir renforcer cette décision pour qu’ils restent dans la paix « .

14. Lettre de protection du pape en faveur de Cîteaux

 » Moi, Pascal, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, j’écris à Albéric, abbé digne de respect du Nouveau Monastère au diocèse de Chalon, et à tout les abbés qui lui succéderont selon la Règle pour toujours.

Si Dieu met dans le coeur d’un homme le désir très clair de vivre selon le Christ ou de faire du bien aux autres, il faut le réaliser sans retard. C’est pourquoi, fils très aimés dans le Seigneur, je reçois votre demande sans aucune difficulté. Je me réjouis de votre forme de vie monastique, comme un père sait se réjouir. Par conséquent j’ai décidé ce qui suit :

Pour vivre dans la paix, vous avez choisi un lieu qui convient à des moines. Je veux que ce lieu soit à l’abri de toute attaque. On doit le reconnaître comme abbaye pour toujours. Et il bénéficie d’une protection spéciale du pape. Pourtant les droits de l’Eglise de Chalon restent entiers. Par ce document, j’interdis à tous de changer votre genre de vie, de recevoir des moines de votre monastère appelé  » nouveau « , si ce n’est pas en accord avec votre Règle. J’interdis aussi à tous de troubler votre communauté, par la ruse ou la violence. Il y a eu des difficultés entre vous et les moines de Molesme. Urbain II, le pape nommé avant moi, et qui a laissé le souvenir d’un apôtre, a demandé qu’on règle cette affaire. Alors notre frère, l’archevêque de Lyon, son représentant, avec les évêques de sa région et d’autres chrétiens remplis de foi, ont pris une décision. Cette décision est sage et mérite des félicitations. Je la confirme.

Le pape encourage les moines de Cîteaux

Vous, fils très aimés dans le Christ, et pleins d’ardeur, rappelez-vous votre passé. Certains d’entre vous ont quitté une vie facile dans le monde, d’autres sont venus d’un monastère où on vivait moins fidèlement. Pour devenir toujours plus dignes de cette faveur du Seigneur, entraînez-vous à garder dans vos coeurs l’amour et le respect de Dieu. Alors, plus vous êtes libérés des bruits du monde et de ses plaisirs, plus vous devez chercher à plaire à Dieu de toutes vos forces, celles de votre esprit et celles de votre coeur.

 

Le pape avertit ceux qui veulent troubler Cîteaux

Si, à l’avenir, quelqu’un connaît ce que je décide pour Cîteaux et s’il essaie de s’y opposer, on l’avertira deux ou trois fois. Ceci est valable pour toute personne : archevêque ou évêque, empereur ou roi… et pour tous les notables, appartenant au clergé ou non. Supposons ceci : cet homme-là reçoit un avertissement, mais il ne se corrige pas et il ne répare pas ses torts. Alors on le privera des honneurs qui lui sont dus ; il doit savoir qu’il est coupable devant le tribunal de Dieu pour cette mauvaise action qu’il a commise. Il ne devra plus recevoir le Corps très saint ni le Sang de notre Dieu et Seigneur Jésus Christ. Au dernier jugement, on le punira très durement.

Paix sur les amis de Cîteaux

Au contraire, ceux qui respecteront les droits de cette abbaye, que la paix de notre Seigneur Jésus Christ soit sur eux ! Qu’ils reçoivent sur la terre le fruit de leur bonne action, et qu’ils trouvent, auprès du juste juge, la récompense d’une paix qui dure toujours « .

15. Lois fondamentales des moines venus de Molesme à Cîteaux

A partir de ce moment, l’abbé et ses frères n’oublient pas leur promesse. Ils décident d’organiser leur vie, ici à Cîteaux, selon la Règle de saint Benoît. Ils sont tous d’accord pour cette décision. Ils rejettent donc tout ce qui est contraire à la Règle.

Vêtement

Ils rejettent tout ce qui leur semble trop beau, trop cher ou trop agréable et ce qui ne sert à rien.

Nourriture

Pour les repas, ils veulent qu’on serve un seul plat. Ils n’utilisent pas d’aliments gras.

Pour tout le reste

Ils rejettent aussi tout ce qui s’oppose à la Règle vécue très fidèlement. Ils comparent chaque détail de leur façon de vivre avec ce que la Règle enseigne exactement sur ce point. Ils font cela pour ce qui concerne le service de Dieu et pour toute autre chose. Finalement, leur forme de vie suit bien les conseils que la Règle donne. Ils ont quitté ce qui est égoïste en eux, et chaque moine se réjouit de devenir un homme nouveau.

Les propriétés

Les frères de Cîteaux lisent la Règle de saint Benoît et le livre qui raconte sa vie. Mais ils constatent que le maître des moines n’a pas possédé de droits sur des églises ou sur des autels ; il n’a pas demandé des taxes sur les dons qu’on offre à Dieu ; il n’a pas été propriétaire de fours et de moulins pour vendre à des clients ; il n’a possédé ni grandes exploitations agricoles, ni paysans.

La clôture

Les femmes n’entrent pas dans les monastères. On ne venait pas enterrer les morts chez les moines, sauf la soeur de saint Benoît.

Comment devenir un vrai moine ?

Parce qu’ils ont lu ainsi la Règle et la Vie de saint Benoît, les frères de Cîteaux abandonnent toutes ces façons de vivre. Quand le bienheureux Père Benoît demande au moine d’abandonner les coutumes des gens du monde, il veut dire clairement ceci : ces coutumes ne doivent pas exister chez les moines, et leur coeur doit devenir libre. Ils portent le nom de  » moines « . Ils doivent donc mettre en pratique ce que ce nom veut dire. C’est en abandonnant toutes ces choses qu’on devient moine.

Les taxes

Voici ce que les moines de Cîteaux pensent des taxes. L’Esprit de Dieu agissait par nos Pères dans la foi, les évêques des premiers siècles. Nous commettons un péché grave si nous ne faisons pas ce qu’ils ont décidé. Or les biens qu’on leur donnait, ils les partageaient de façon suivante : ils faisaient quatre parts. La première part était pour l’évêque, la deuxième pour le prêtre, la troisième pour les hôtes de cette église, pour les veuves, les orphelins et les pauvres sans ressources, la quatrième part servait à entretenir l’église. Dans ce partage on ne parle pas des moines. Les moines possèdent des champs qu’ils cultivent et ils élèvent des animaux. Cela leur permet de vivre. C’est pourquoi les frères de Cîteaux refusent de recevoir des offrandes pour eux-mêmes. En effet, s’ils les acceptent, ils prennent injustement ce qui doit être donné à d’autres personnes.

Mais comment vivre et accueillir les hôtes ?

Ces nouveaux soldats du Christ méprisent les richesses du monde. Les voilà pauvres avec le Christ pauvre. Ils commencent à réfléchir ensemble :  » Comment allons-nous gagner notre vie ? Quels métiers choisir, quel travaux ? « . Ils cherchent cela pour eux-mêmes et pour ceux qu’ils reçoivent, riches ou pauvres. En effet, la Règle ordonne de recevoir les hôtes comme le Christ.

 

Frères convers

Avec accord de leur évêque, les moines de Cîteaux décident de recevoir des laïcs chrétiens au monastère. Ils portent la barbe. On les appelle  » convers « . Ils ne sont pas officiellement moines, mais les moines les traitent comme leurs frères, pendant leur vie et à leur mort.

Le monastère reçoit des ouvriers salariés. En effet, les fondateurs pensent que les frères ne peuvent pas suivre totalement la Règle, nuit et jour, si les convers et les ouvriers ne les aident pas. Les moines de Cîteaux peuvent recevoir des terres, dans des endroits non habités, des vignes, des pâturages, des forêts. Ils peuvent aussi posséder des étendues d’eaux pour la pêche et pour construire des moulins uniquement pour eux. Enfin, ils peuvent avoir des chevaux, des troupeaux, et tout ce qu’il faut pour vivre.

Les moines doivent rester au monastère

Et comme les moines ont établi ici ou là des exploitations agricoles, voici ce qu’ils décident : ce sont les convers qui les dirigeront et pas les moines. En effet, la Règle demande aux moines d’habiter à l’intérieur de leur clôture. De plus, les frères savent que le bienheureux Benoît n’a pas construit de monastères dans les villes, dans les villages ou près des habitations des gens. Mais il a choisi des lieux déserts où personne ne passe. Alors, ces hommes saints décident de faire comme lui.

Enfin, Benoît a envoyé dans ses monastères douze moines et un abbé. Les frères de Cîteaux feront la même chose.

16. Tristesse à Cîteaux

A cette époque, peu d’homme viennent à Cîteaux, pour mener la vie des moines. L’abbé et ses frères sont un peu tristes à cause de cela. Ces hommes saints ont découvert, grâce à Dieu, une vie très belle. Ils désirent vivement partager cette découverte avec d’autres hommes, et beaucoup profiteront de ces richesses. Les gens entendent parler des moines de Cîteaux, ils les regardent vivre. Mais ils n’ont pas l’habitude de voir une forme de vie aussi dure. Ils n’ont presque jamais entendu parler d’une vie de ce genre. Alors personne ne vient vivre avec les moines. Au contraire, les gens partent très vite et ils se dépêchent de les oublier ! Ils se demandent toujours si ces moines pourront continuer à vivre de cette façon. Pourtant le Seigneur est bon. C’est lui qui a donné à ses fils le désir de former cette armée animée par l’Esprit de Dieu. Il va continuer à la développer de façon remarquable pour que beaucoup d’hommes fassent des progrès dans la charité. Les événements suivants vont montrer cette action de Dieu.

17. Mort d’Albéric, élection d’Etienne, deuxième abbé

Nouvelles lois fondamentales

Joie de Cîteaux

Albéric est un homme de Dieu. Pendant neuf ans et demi, il lutte avec succès, selon la Règle, dans cette école du Christ. Puis il part vers le Seigneur. Sa foi et sa vie ont fait de lui un homme remarquable. Il mérite de recevoir le bonheur qui vient de Dieu et de vivre avec lui pour toujours.

Un frère, nommé Etienne, devient abbé après Albéric. C’est un anglais. Il est venu de Molesme avec les autres fondateurs. Il aime la Règle et le monastère de Cîteaux.

Plus de réunions mondaines à Cîteaux

A cette époque, l’abbé et ses frères interdisent au duc de la province de Bourgogne et aux principaux notables de continuer à se réunir, en grande assemblée, au monastère. Le duc de Bourgogne avait pris cette habitude à l’occasion de certaines grandes fêtes.

Les objets liturgiques doivent être simples et pauvres

Ensuite, les moines prennent une décision pour l’oratoire. En ce lieu, ils désirent servir Dieu, nuit et jour, de tout leur coeur. C’est pourquoi, dans l’oratoire, on ne laissera pas d’objets précieux ou qui ne servent à rien, ou bien des objets qui blessent la pauvreté. En effet, c’est la pauvreté qui permet de garder toujours une vie sainte. Et les frères l’ont choisie en toute liberté. Voici donc ce qu’ils gardent pour les cérémonies : pas de croix en or ou en argent, la croix doit seulement être en bois peint. Une seule bougie avec son support en fer. Des encensoirs en cuivre ou en fer. Les vêtements du prêtre à l’autel, on les fera en tissu simple, sans décorations en or, en argent ou en soie. Pas de vêtements compliqués pour les prêtres et pour les assistants. Les calices seront en argent doré, mais pas en or, de même le chalumeau. Les ornements de l’autel seront en tissu simple, sans décorations. Les récipients pour le vin et l’eau n’auront pas de décorations en or ou en argent.

Cîteaux se développe… et on aime Dieu !

En ces jours-là, l’abbaye grandit. Elle possède beaucoup de terres, de vignes, de pâturages et beaucoup d’exploitations agricoles. Elle se développe. Et pourtant, parmi les frères, l’amour de Dieu ne diminue pas !

 

Les frères crient vers Dieu

Presque personne ne vient à Cîteaux pour y continuer la vie monastique après les fondateurs. Les frères sont donc près de perdre toute espérance. Alors, ils prient Dieu sans cesse. Ils crient vers lui. Ils pleurent devant lui. Ils gémissent, jour et nuit, longuement et profondément.

Trente novices arrivent, entraînés par Bernard

A ce moment-là, Dieu visite Cîteaux. Il prouve aux frères sa tendresse profonde. Dans sa bonté, Dieu conduit à Cîteaux trente homme à la fois. Parmi eux, on voit des clercs, ce sont des savants et des notables de l’Eglise. Il y a aussi des laïcs, hommes puissants dans la société et fils de notables. Tous entrent à Cîteaux, le même jour, pour devenir novices. Ils arrivent pleins d’ardeur. Ils viennent lutter avec courage contre leurs défauts et contre les esprits mauvais qui les poussent au mal. Ils sont décidés à poursuivre leur course jusqu’au bout.

L’exemple des trente novices en attire d’autres à Cîteaux

De cette façon, Bernard et ses compagnons donnent l’exemple. Ils encouragent des vieillards et des jeunes gens, des hommes de tout âge et de divers pays, à les imiter. Avant leur arrivée au monastère, on avait peur ; suivre la Règle de Cîteaux semblait impossible. Maintenant, on voit que c’est possible. D’autres arrivent rapidement à Cîteaux. Ils viennent se mettre à l’école du Christ, ce maître plein de douceur. Ils viennent prendre sur eux le joug léger du Seigneur. Ils commencent à aimer d’un grand amour ce que la Règle ordonne de dur et de pénible. De façon merveilleuse, ils remplissent de joie la communauté de Cîteaux et ils la rendent solide.

18. Les fondations de Cîteaux

Ensuite, les moines de Cîteaux établissent des abbayes dans plusieurs diocèses. La bénédiction de Dieu sur eux est très grande, et elle porte beaucoup de fruits : ainsi, en huit années, Cîteaux et ses abbayes filles fondent jusqu’à douze monastères !