TROISIÈME SERMON POUR LE JOUR DE L’ÉPIPHANIE DE NOTRE SEIGNEUR. Sur ce passage de l’Évangile : « Où est le roi des Juifs qui est nouvellement né ( Matt. II, 2) ? »

 

1 Mes frères, je crois nécessaire de vous exposer, selon ce que j’ai coutume de faire les autres jours de fête le sens de la solennité d’aujourd’hui. Quelquefois je parle contre les vices, ce genre de sermons est très utiles mais il me paraît mieux convenir aux autres jours qu’à celui-ci. Les jours de fête et surtout dans nos plus grandes solennités, il vaut mieux s’appliquer dans les sermons à instruire et à toucher. Comment, en effet, pourriez-vous célébrer ce que vous ne connaîtriez point, et comment connaîtriez-vous ce dont on ne vous parle point? Que ceux donc qui sont versés dans la connaissance de la loi, nous permettent de nous mettre à la portée de ceux qui le sont peu, comme l’exige la loi de la charité. D’ailleurs je ne bois pas qu’ils soient privés de nourriture , parce qu’ils voudront bien servir des mets un peu moins recherchés aux âmes un peu moins instruites, comme on pourrait le faire pour le simple peuple. Or, c’est ce qu’ils feront si dans , une pensée de charité fraternelle, ils se contentent de ce que réclament les personnes moins instruites, quoique peut-être ce ne soit pas aussi nécessaire pour eux. Ils pourront ensuite ramasser les restes, et repasser dans leur esprit avec attention et ruminer comme font les animaux purs, tout ce qui aura pu échapper, à cause de sa subtilité, aux esprits peu cultivés.

2. La solennité de ce jour tire donc son nom d’un mot qui signifie manifestation, car ce mot épiphanie n’a pas d’autre sens. C’est donc aujourd’hui la manifestation de Notre-Seigneur, non pas d’une seule, mais d’une triple manifestation, selon ce que nos pères nous ont appris En effet, c’est aujourd’hui que notre Roi, encore tout petit enfant, s’est manifesté peu de jours après sa naissance, aux premiers des, gentils, qu’une étoile avait amenés jusqu’à lui. C’est également en ce jour, que Jésus ayant accompli sa trentième année dans la chair, car en tant que Dieu, il est toujours le même et ses années ne marchent point vers leur déclin, il vint au Jourdain, confondu dans la foule des gens de sa nation pour être baptisé, et que le témoignage de Dieu, son Père, le fit connaître aux hommes. C’est également aujourd’hui que, se trouvant, avec ses disciples, invité à des noces où le vin a manqué, il a changé l’eau en vin par un miracle admirable de sa puissance. Mais je préfère considérer plus particulièrement la manifestation qui s’est faite dit Sauveur pendant les premiers jours de son enfance, parce qu’elle est remplie d’une très grande douceur, et que d’ailleurs c’est celle qui est le principal objet de cette fête.

3. C’est donc aujourd’hui, comme nous l’avons vu dans l’Evangile, que les Mages vinrent à Jérusalem du fond de l’Orient. Il est bien juste sans , doute que ceux qui viennent nous apprendre le lever du Soleil de justice, et remplir le monde entier de l’annonce de l’heureuse nouvelle, nous arrivent de l’Orient. Par malheur la Judée infortunée qui haïssait la lumière, se voile la face à l’éclat de cette clarté nouvelle et voit ses yeux malades se fermer au lieu de s’ouvrir aux brillants rayons du Soleil éternel. Mais écoutons le langage des mages arrivés de l’Orient: «Où est le Roi des Juifs nouvellement né (Matt. II, 2 ) ? »Quelle foi assurée, quelle absence d’hésitation et de doute! Ils ne s’inquiètent point s’il est né, mais pleins d’une complète certitude et tout à fait étrangers au doute, ils demandent où est le Roi des Juifs qui vient de naître. A ce mot de roi, Hérode se figure qu’il va avoir un successeur et il est saisi de crainte. Ne nous étonnons point de son trouble, mais étonnons-nous bien plutôt de voir Jérusalem, la cité de Dieu, dont le nom signifie la vision de la paix, partager le trouble d’Hérode. Voyez, mes frères, quel mal peut faire un pouvoir unique, comment un chef ;impie fait partager son impiété à ses sujets. O la malheureuse ville que celle où règne Hérode ; elle ne saurait demeurer étrangère à, la malice d’Hérode, et ne point partager le trouble qu’il éprouva à la nouvelle de la naissance du Sauveur. J’espère bien, avec la grâce de Dieu, qu’il ne régnera jamais sur nous, ce dont Dieu nous préserve. C’est partager la malice d’Hérode et la cruauté de Babylone, que de vouloir étouffer un ordre naissant et briser contre la pierre les jeunes enfants d’Isaac. Il est évident, en effet, que lorsqu’il parait quelque chose qui peut aider au salut, ou t quelque ordre nouveau, quiconque y’ fait de l’opposition, et le combat, est du nombre de ces Egyptiens qui voulaient éteindre la race d’Israël, je dis plus, c’est un allié d’Hérode qui persécute le Sauveur naissant. Mais revenons à notre histoire, car je suis convaincu que s’il y a quelqu’un qui se, trouve dans ce cas, il veillera désormais sur lui-même avec le plus grand soin, détestant du fond de l’âme les sentiments d’Hérode, afin de, ne point partager son sort.

4. Comme les Mages s’informaient du Roi des Juifs, et comme Hérode de son côté s’informait auprès des scribes du lieu où devait naître le Seigneur, ceux-ci lui firent connaître le nom de la ville qu’avait indiquée le Prophète. Lorsque les mages se furent éloignés, après avoir quitté les Juifs, « voilà que l’étoile qu’ils avaient vue en Orient, marchait devant eux. » Ces paroles nous donnent assez clairement à entendre qu’ils cessèrent d’avoir Dieu pour guide tant qu’ils s’enquirent auprès des hommes; car le signe céleste leur fit défaut dès l’instant qu’ils se mirent en quêté de renseignements humains. Mais à peine ont-ils quitté Hérode qu’ils sont remplis d’une grande joie, car l’étoile leur apparut marchant devant eux jusqu’à ce qu’étant arrivée au dessus de l’endroit , où était l’enfant, elle s’arrêta: « Entrant alors dans la maison, ils trouvèrent l’Enfant avec Marie sa mère, et, se prosternant, ils l’adorèrent (Matt. II, 11). » O étrangers, d’ou vient que vous agissez ainsi ? Nous n’avons point vu de foi pareille dans Israël. Ainsi la triste apparence de cette étable ne vous offusque point, non plus que la vue de ce pauvre berceau fait d’une crèche ? La présence de cette mère pauvre ni cet enfant à la mamelle, ne vous scandalisent donc point?

5. Alors, dit l’Evangéliste « Ils ouvrent leurs trésors et ils lui offrent en présents, de l’or, de l’encens et de la myrrhe (Ibid.) » S’ils ne lui avaient offert que de l’or, peut-être auraient-ils paru avoir eu la pensée de venir en aide à la pauvreté de la mère, et lui donner les moyens d’élever son enfant. Mais comme ils lui offrent en même temps de l’or, de l’encens et de là myrrhe, il est évident que leurs offrandes ont un sens spirituel. En effet, l’or passe pour ce qu’il y a de plus précieux parmi les richesses des hommes; c’est ce que, avec la grâce du Sauveur, nous lui offrons dévotement lorsque, pour son nom, nous renonçons entièrement aux biens de ce monde. Mais à présent il ne nous reste plus, après avoir si complètement foulé aux pieds les choses de la terre, qu’à rechercher avec une plus vive ardeur celles des cieux. Car c’est ainsi que nous pourrons lui offrir la bonne odeur de l’encens qui, selon saint Jean, comme nous le voyons dans son Apocalypse (Apoc. V, 3), représente les prières des saints. Voilà ce qui faisait dire au Psalmiste : « Que ma prière s’élève vers vous comme la fumée de l’encens (Psal. CXL, 2) : » et à l’Ecclésiastique : «La prière du juste perce les nues: » La prière, dis-je, non de quiconque, mais du juste ( Eccles. XXXV, 21), car la prière de quiconque détourne l’oreille pour ne point écouter, la loi de Dieu, est exécrable (Prov. XXVIII, 9). »

6. Si donc vous voulez être juste et ne point détourner l’oreille des commandements de Dieu, pour que lui-même ne détourne pas la sienne de vos prières, il faut non-seulement que vous méprisiez le siècle présent, mais encore que vous châtiez votre chair et la réduisiez en servitude. Car celui qui a dit: «Quiconque ne renonce pas à tout ce qu’il possède, ne peut être mon disciple (Luc. XVI, 32), » et encore «Si vous voulez être parfaits, allez, vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, puis revenez vous mettre à ma suite (Matt. XIX, 21), est le même qui a dit dans un autre endroit : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il porte sa croix et me suive (Luc. IX, 23).» L’Apôtre voulant expliquer le sens de ces paroles, disait ; «Ceux qui sont à Jésus-Christ, ont crucifié leur chair avec toutes ses passions et ses désirs déréglés (Gal. V, 24). » La prière doit donc avoir deux ailes, le mépris du monde et la mortification de la chair, et avec elles il n’est pas douteux qu’elle puisse pénétrer les cieux et s’élever en présence de Dieu comme la fumée de l’encens. Pour que notre sacrifice soit agréable et que notre offrande mérite d’être accueillie, il faut qu’à l’or et à l’encens s’ajoute encore la myrrhe, car bien qu’elle soit amère, elle n’en est pas moins fort utile, elle conserve le corps qui est mort à cause du péché et l’empêche de tomber en pourriture en tombant dans le vice. Qu’il suffise de ce peu de mots pour nous engager à imiter les offrandes des Mages.

7. Mais comme nous avons parlé de manifestation, il est bien que nous recherchions qu’est-ce qui se manifeste à nous dans cette fête. L’Apôtre se charge de nous l’apprendre en nous disant : « Ce qui a paru, c’est la bonté et l’humanité du Sauveur notre Dieu (Tit. III, 4). » Et, en effet, nous avons entendu l’Evangéliste nous dire que «étant entrés dans la maison, les Mages y trouvèrent l’Enfant avec Marie sa mère (Matt. II, 41). » Or dans ce corps d’enfant qu’une mère réchauffait contre son sein virginal, qu’est-ce qui apparaît sinon le vérité de la chair qu’il a prise? Dans la seconde manifestation, ne vous semble-t-il point qu’il est manifestement proclamé Fils de Dieu de la bouche même de. son Père? En effet, les cieux s’entr’ouvrirent au-dessus de sa tète, le Saint-Esprit en descendit sur lui sous la forme corporelle d’une colombe, et en même temps la voix du Père fit entendre ces paroles : « Celui-ci est mon Fils bien aimé en qui j’ai mis toutes mes complaisances (Matt. III, 17). » Certes, il est assez manifeste après cela, il est suez évident et assez indubitable que le Fils de Dieu ne peut être que Dieu lui-même. Personne, en effet, ne révoque en doute que les enfants des hommes soient des hommes aussi, ni que les petits des animaux soient de la même espèce que ceux dont ils sont nés. Toutefois, pour qu’il n’y ait plus place pour une erreur sacrilège, celui qui, dans la première manifestation, fut reconnu pour vrai homme et fils d’homme, et qui dans la seconde, n’en est pas moins déclaré Fils de Dieu, se montre dans la troisième vrai Dieu et véritable auteur de la nature qu’il change à son gré. Pour nous, par conséquent, mes bien-aimés, aimons Jésus-Christ comme étant véritablement homme et notre frère; honorons-le comme Fils de Dieu, et adorons-le comme Dieu. Croyons avec une entière sécurité en lui, et confions-nous à lui avec la même sécurité, mes frères, car le pouvoir de nous sauver ne lui manque point, puisqu’il est vraiment Dieu, et Fils de Dieu; non plus que la bonne volonté, attendu qu’il est comme l’un de nous un homme véritable et fils de l’homme. Comment pourrait-il se montrer inexorable à notre égard, quand il s’est fait, pour nous, semblable à nous et sujet à la douleur?

8. Si vous désirez maintenant que je vous dise sur ces trois manifestations quelques mots qui aient rapport à la pratique, je vous prie de remarquer avant tout que le Christ se montre enfant avec une Vierge pour mère, afin de nous apprendre à rechercher par dessus tout, la simplicité et la modestie. La simplicité est, en effet, le partage de l’enfance, de même que la modestie est l’apanage des vierges. Par conséquent, nous tous, qui que,nous soyons, il est deux vertus surtout que nous devons acquérir dès le principe même de notre conversion, c’est une humble simplicité, et une gravité pleine de modestie. Dans la seconde manifestation, le Sauveur vient aux eaux du baptême, non pour être purifié, mais plutôt pour recevoir le témoignage de son Père. Tout cela représente les larmes de la dévotion dans lesquelles on recherche bien moins à obtenir le pardon de ses fautes, qu’à complaire à Dieu le Père, lorsque l’esprit des enfants d’adoption descend sur nous pour rendre témoignage à notre propre esprit, que nous sommes les enfants de Dieu, en sorte qu’il nous semble entendre du haut du ciel une voix douce comme le miel qui nous assure que Dieu le Père se complaît véritablement en nous. Or, il y a une grande différence entre ces larmes de la dévotion et de l’âge viril, et celles que le premier âge laissait couler su milieu des vagissements de l’enfance et qui n’étaient que les larmes de la pénitence et de la confession. Toutefois, il en est d’autres qui sont bien supérieures aux premières, ce sont celles qui prennent le goût du vin; car on peut dire avec vérité que les, larmes de la compassion fraternelle qui s’échappent dans l’ardeur de la charité, sont véritablement changées en vin, attendu que, par la charité, il semble qu’on s’oublie soi-même un instant comme par l’effet d’une ivresse pleine de sobriété.