Comme je l’ai dit au début de cette Eucharistie, je voudrais vous dire quelques mots sur l’origine de la fondation de l’ordre cistercien qui fête aujourd’hui ses saints fondateurs, st Robert, st Albéric et st  Etienne ; Il nous faut remonter en l’an 1098. Robert, abbé de l’abbaye bénédictine de Molesmes, en Bourgogne, quitte ce monastère qu’il avait fondé. La raison est la suivante : peu à peu, l’esprit de pauvreté a disparu, à mesure que l’abondance prenait la place du dénuement. Robert fut impuissant à faire régner de nouveau l’esprit de pauvreté qui avait présidé à cette fondation ; il préféra s’en aller. Il quitte avec une vingtaine de ses moines, dont le prieur Albéric et le sous-prieur Étienne ;  Robert avait le désir de pratiquer en vérité la Règle bénédictine dans le cadre d’une communauté de frères vivant dans la solitude, la pauvreté, la simplicité, tout cela étant inspiré par un amour intense du Christ. On pourrait ainsi définir l’essentiel du charisme cistercien. Robert avait déjà 70 ans. Un peu comme Abraham, qui partit à 75 ans pour obéir à cet appel de Dieu dont nous parlait la première lecture qui exaltait nos ancêtres dans la foi. C’est une première leçon que nous pouvons tirer : dans une vie chargée d’années et, pour certains d’entre nous, de nombreuses années, il y a toujours la possibilité d’une conversion dans une plus grande fidélité au Christ comme ces moines qui ont cherché une plus grande fidélité en fondant le monastère de Cîteaux, berceau de l’ordre cistercien..

« Toute la vie de Robert, selon les historiens, est jalonnée par une recherche spirituelle incessante, recherche par un désir d’authenticité, par une volonté de revenir aux sources de l’évangile et de la Règle de st Benoît vécues en leur pureté et en leur intégrité. »

Nous venons d’entendre dans la  lecture ces paroles : « c’est dans la foi que nos ancêtres sont tous morts sans avoir connu la réalisation des promesses. » On pourrait appliquer ces paroles aux Pères fondateurs cisterciens car eux-aussi sont morts sans avoir connu l’expansion de l’ordre cistercien à travers le monde, surtout au temps de St Bernard, qui est plus connu de nous que les saints fondateurs et que certains pensent que c’est lui, en raison de son rayonnement, qui est le fondateur de l’ordre cistercien; mais comme les ancêtres bibliques, ces moines ont vécu dans la foi leur nouvel itinéraire dans la fidélité au premier fondateur, Saint Benoît, et dans la fidélité à l’Esprit Saint. Le Sage de l’Ancien Testament a tellement magnifié les ancêtres qu’il a minimisé les épreuves qu’ils ont connues et parfois le rejet.

Les Saints que nous célébrons aujourd’hui ont connu également des épreuves, des incompréhensions, Robert a été taxé par les mauvaises langues d’être un inconstant. Les épreuves sont d’ailleurs  le lot de presque tous les fondateurs ou réformateurs d’ordres religieux. Des Réformateurs d’ordres comme Saint Jean de la Croix et Thérèse d’Avila étaient en butte à de nombreuses difficultés de la part de leurs frères et sœurs. Les saints Pères fondateurs de l’ordre cistercien ont connu des difficultés analogues. « Leur descendance subsistera toujours » disait encore le Sage de l’Ancien Testament ; toutes les communautés cisterciennes d’hommes et de femmes à travers le monde sont le signe de cette descendance.

Dans la lettre aux  Hébreux, il y a un passage que l’on pourrait appliquer à ces Pères fondateurs. C’est le suivant : « s’ils avaient pensé à la patrie qu’ils avaient quittée, ils auraient eu la possibilité d’y revenir ». Mais précisément, ils ne voulaient plus revenir au monastère qu’ils avaient quitté ; ils voulaient appliquer et vivre la règle de St Benoît par une  pratique plus grande de la pauvreté. Cette pauvreté dont Jésus vient de nous parler dans cet évangile, une pauvreté qui est toujours difficile mais qui peut être vécue car rien n’est impossible à Dieu.

C’est par cette pauvreté que nous rejoignons la fondation de Cîteaux qui a été initiée dans une grande pauvreté. Les débuts du « Nouveau Monastère » comme  on l’appelait, étaient difficiles : grande pauvreté de vie et même un certain dénuement, peu de recrutement au départ. Le premier emplacement est vite abandonné par suite du manque d’eau courante. Ils ont cherché la pauvreté et le détachement, la Providence les a bien servis !

Pour en revenir à l’évangile, je pense que tout religieux, toute religieuse peut se reconnaître dans ces personnes qui ont quitté, pour le Christ et l’évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre. Le Christ leur promet le centuple ; je pense qu’ils connaissent tous une nouvelle parenté, d’autres sœurs, frères, mères. Dieu ne se laisse pas vaincre en générosité. Mais ces promesses de Jésus s’appliquent prioritairement à la communauté ecclésiale que Jésus a fondée et qui a accueilli jusqu’aujourd’hui de nombreux frères et sœurs, des maisons, des terres et aussi, hélas,  des persécutions. L’actualité récente nous relate de nombreuses persécutions de chrétiens dans le monde, au Nigeria, en Egypte, en Syrie, au Soudan.

Si les exigences du Christ à tout laisser pour le suivre, si ses exigences de pauvreté sont parfois difficiles à vivre, si la stricte observance est plus difficile à vivre dans les faits que dans les simples paroles, alors notre regard doit se tourner vers Jésus, qui dans sa vie itinérante, n’avait pas où reposer sa tête, tout entier tourné vers l’accomplissement de la volonté de son Père. Que l’exemple de vos Pères fondateurs, mes sœurs, vous stimule dans cette fidélité créatrice à la vocation bénédictine dans ses exigences premières. Que les saints Robert, Albéric et Etienne vous aident à vivre ce qui faisait l’essentiel de leur propre engagement et vous accompagnent sur votre route quotidienne.